Le royaume d’Icare

Résidence du comte Jacques Dumoulin,
vingt et une heures du soir
Pour le café, ce sera parfait. Belladona est devant le miroir.
Il place une bague en or massif à son annulaire gauche, noue
une cravate jaune napolitain à sa chemise noire et lui agrafe
un petit diamant. Pour l’hôtel. Madeleine lui en a fait oublier
sa quincaillerie. Il est vidé.
En bas, les Dumoulin sont au salon. Dans la pièce règne le
silence du rêve. Ce n’était pas prévu de déranger en quittant.
Belladona épie le couple depuis l’embrasure de la porte. Madame
est figée dans un songe, une revue pour femmes repose
sur ses petites cuisses. Les évangiles du charme, selon Béatrice
(des traités d’horticulture, dans l’univers de Boey). Son
époux est assis à l’autre extrémité du divan. Assoupie sur
ses jambes, sa main droite tient un journal plié. Il rêve les
yeux vides. Quelle complicité dans la mésentente. Un amour
entre solitudes.
À ses débuts sur les planches d’une grande salle, près de
cinq cents places au parterre, Madeleine comprend qu’elle
est trop petite et que sa voix n’est pas assez forte. Elle se voit
et s’entend depuis la salle. Comment a-t-elle pu, elle n’en sait
rien, mais l’image est saisissante. D’ailleurs un critique sérieux
notera poliment que ce détail pouvant gêner.
— Si tu t’ennuies tant, pourquoi ne reprends-tu pas le
chant suggérera Jacques des années plus tard. Tu deviendrais
une étoile.
— Une « petite » étoile.
«
— Avec les commanditaires, tu sais.
— C’est une pouliche de tiercé que tu veux!
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