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Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...

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et bienveillante. Bernardin de <strong>Saint</strong>-Pierre répandit sur tous ses écrits la teinte évangélique du<br />

vicaire savoyard. M. de Châteaubriand, sorti d'une première incertitude, remonta jusqu'aux<br />

autels catholiques dont il fêta la dédicace nouvelle. Ces deux derniers, qui, sous l'appareil de<br />

la philanthropie ou de l'orthodoxie, couvraient des portions de tristesse chagrine et de<br />

préoccupation assez amère, dont il n'y a pas trace chez leur rivale expansive, avaient le mérite<br />

de sentir, de peindre, bien autrement qu'elle, cette nature solitaire qui, tant de fois, les avait<br />

consolés des hommes ; ils étaient vraiment religieux par là, tandis qu'elle, elle était plutôt<br />

religieuse en vertu de ses sympathies humaines. Chez tous les trois, ce développement plein<br />

de grandeur auquel, dans l'espace de vingt années, on dut les Etudes et les Harmonies de la<br />

Nature, Delphine et Corinne, le Génie du Christianisme et les Martyrs, s'accomplissait au<br />

moyen d'une prose riche, épanouie, cadencée, souvent métaphysique chez madame de Staël,<br />

purement poétique dans les [40] deux autres, et d'autant plus désespérante, en somme, qu'elle<br />

n'avait pour pendant et vis-à-vis que les jolis miracles de la versification delilienne. Mais<br />

Lamartine était né. Ce n'est plus de Jean-Jacques qu'émane directement Lamartine ; c'est de<br />

Bernardin de <strong>Saint</strong>-Pierre, de M. de Châteaubriand et de lui-même. La lecture de Bernardin de<br />

<strong>Saint</strong>-Pierre produit une délicieuse impression dans la première jeunesse. Il a peu d'idées, des<br />

systèmes importuns, une modestie fausse, une prétention à l'ignorance, qui revient toujours et<br />

impatiente un peu. Mais il sent la nature, il l'adore, il l'embrasse sous ses aspects magiques,<br />

par masses confuses, au sein des clairs de lune où elle est baignée ; il a des mots d'un effet<br />

musical et qu'il place dans son style comme des harpes éoliennes, pour nous ravir en rêverie.<br />

Que de fois, enfant, le soir le long des routes, je me suis surpris répétant avec des pleurs son<br />

invocation aux forêts et à leurs résonnantes clairières ! Lamartine, vers 1808, devait beaucoup<br />

lire les Études de Bernardin; il devait dès lors s'initier par lui au secret de ces voluptueuses<br />

couleurs dont plus tard il a peint dans le Lac son souvenir le plus chéri :<br />

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,<br />

Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,<br />

Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface<br />

De ses molles clartés !<br />

[41] Le génie pittoresque du prosateur a passé tout entier en cette muse : il s'y est éclipsé et<br />

s'est détruit lui-même en la nourrissant. Aussi, à part Paul et Virginie, que rien ne saurait<br />

atteindre, Lamartine dispense à peu près aujourd'hui de la lecture de Bernardin de <strong>Saint</strong>-Pierre<br />

; quand on nommera les Harmonies, c'est uniquement de celles du poète que la postérité<br />

entendra parler. Lamartine, vers le même temps, aima et lut sans doute beaucoup le Génie du<br />

Christianisme, René: si sa simplicité, ses instincts de goût sans labeur ne s'accommodaient<br />

qu'imparfaitement de quelques traits de ces ouvrages, son éducation religieuse, non moins que<br />

son anxiété intérieure, le disposait à en saisir les beautés sans nombre. Quand il s'écrie à la fin<br />

de l'Isolement, dans la première des premières Méditations :<br />

Et moi je suis semblable à la feuille flétrie<br />

Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !<br />

Il n'est que l'écho un peu affaibli de cette autre voix impétueuse:<br />

Levez-vous, orages désirés, qui devez emporter René, etc. Rousseau, je le sais, agit aussi très<br />

puissamment sur Lamartine ; mais ce fut surtout à travers Bernardin de <strong>Saint</strong>-Pierre et M. de<br />

Chateaubriand qu'il le sentit. Il n'eut rien de Werther; il ne connut guère Byron de bonne<br />

heure, et même en savait peu de chose au delà du renom fantastique qui circulait, quand il lui<br />

[42] adressa sa magnifique remontrance. Son génie préexistait à toute influence lointaine.<br />

André Chénier, dont la publication tardive (18<strong>19</strong>) a donné l'éveil à de bien nobles muses,<br />

particulièrement à celle de M. Alfred de Vigny, resta, jusqu'à ces derniers temps, inaperçu et,<br />

disons-le, méconnu de Lamartine, qui n'avait rien, il est vrai, à tirer de ce monde d'inspiration<br />

antique, et dont le style était déjà né de lui-même à la source de ses pensées. J'oserai affirmer,<br />

sans crainte de démenti, que, si les poésies fugitives de Ducis sont tombées aux mains de<br />

décennies 1830_1839<br />

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