Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
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Dans la critique, il s’adresse aux observateurs de son temps ; c’est le mot dont il se sert pour<br />
désigner les sensualistes. Il les [226] attaque sur plusieurs points, et les attaque avec<br />
avantage ; il a toute raison contre eux dans les objections qu’il leur propose sur leur manière<br />
d’expliquer Dieu, l’homme et la nature ; il leur en montre clairement le défaut et la fausseté.<br />
N’admettre au monde que la matière avec ses éléments et ses propriétés, nier les forces, les<br />
esprits, les principes simples et actifs, ne pas leur accorder une existence propre, et les<br />
confondre avec les corps, c’est, selon lui, se réduire à l'impossibilité de reconnaître dans la<br />
cause première la puissance qui crée et gouverne tout, dans l’homme la moralité ; dans la<br />
nature, la vie et le mouvement, dont elle est pleine. A chaque instant il arrête les observateurs<br />
par quelques remarques, qui sont aussi justes qu'embarrassantes : il y joint fréquemment des<br />
paroles du fond du cœur, dans lesquelles, avec son amour de tout ce qui lui semble beau,<br />
saint, consolant pour l’humanité, il déplore des erreurs qui tournent contre ses croyances. Il ne<br />
manque ni de force, ni de vérité, ni d’éloquence tant qu’il demeure en ces termes, et, comme<br />
la plupart des hommes, tant qu’il critique il a l'avantage ; mais il est plus fort pour détruire<br />
que pour construire et édifier.<br />
Aussi, dans la partie dogmatique est-il loin de valoir autant. D’abord, ainsi que nous l’avons<br />
dit, il pèche par une double obscurité, celle qui lui est naturelle comme mystique, et celle qu’il<br />
s’impose comme croyant, comme membre d’une loge métaphysique qui a ses secrets et son<br />
chiffre. En voici un exemple : il pense que l’homme, à son origine, a vécu dans un tel état de<br />
pureté et de lumière, qu’il approchait de Dieu même ; une faute l’a souillé et depuis, dégradé,<br />
désunit de son principe, il ne lui reste plus qu’à expier en lui-même ou dans les siens le crime<br />
dont il s’est rendu et dont il les a rendus coupables. <strong>Saint</strong>-Martin énonce à peu près en ces<br />
termes ce dogme déjà obscur d’une ontologie toute mystique : autrefois l’homme avait une<br />
armure impénétrable, il était muni d’une lance, composée de quatre métaux, et qui frappait<br />
toujours en deux endroits à la fois ; il devait combattre dans une forêt formée de sept arbres,<br />
dont chacun avait seize racines et quatre cent quatre-vingt-dix branches ; il devait occuper le<br />
centre de ce pays ; mais s’en étant éloigné il changea sa bonne [227] armure contre une autre<br />
qui ne valait rien, il s’était égaré en allant de quatre à neuf, et il ne pouvait se retrouver qu’en<br />
revenant de neuf à quatre. Il ajoute que cette loi terrible était imposée à tous ceux qui<br />
habitaient la région des pères et des mères, mais qu’elle n’était point comparable à<br />
l’effrayante et épouvantable loi du nombre cinquante-six, et que ceux qui s’exposaient à celleci<br />
ne pouvaient arriver à soixante-quatre qu’après l’avoir subie dans toute sa rigueur, etc., etc.<br />
— Il est clair que, pour saisir le sens caché sous ces ses énigmes, il faut avoir le mot de passe,<br />
sans quoi il y a impossibilité d’interpréter ; or, ce mot n’est pas donné, ou ne l’est qu’aux<br />
initiés. Pour les autres, qu’ils ne cherchent pas, ils ne trouveraient pas : on ne veut pas qu’ils<br />
entendent, et certainement ils m’entendront pas.<br />
C’est dans le livre des erreurs et de la vérité, le principal des ouvrages de <strong>Saint</strong>-Martin, celui<br />
dans lequel il philosophe le plus (car, dans les autres, il ne fait guère que prêcher et prier),<br />
qu’il faut surtout voir quel est son système sur les principales questions dont il s’occupe. On y<br />
peut démêler un certain nombre de points tous liés les uns aux autres, dont se compose son<br />
hypothèse.<br />
Il n’est pas bien certain, en premier lieu, et, dans son idée du bien et du mal, il n’y ait pas un<br />
fonds de manichéisme ; on pourrait le conclure de certains passages, où il semble regarder ces<br />
deux choses comme deux substances, deux êtres, deux principes, qui ne sont pas, il est vrai,<br />
égaux en pouvoir, le bien étant infiniment supérieur au mal, mais qui n’en pas moins en<br />
présence et en combat. Cependant quelquefois, on dirait aussi qu’il n’admet qu’un principe, le<br />
bon, et qu’il explique le mal par l’activité nécessairement imparfaite, ou volontairement<br />
déréglée des forces libres et intelligentes. Il serait difficile de dire quelle est au juste son<br />
opinion ; cependant ce serait peut-être plutôt dans ce dernier sens qu’il conviendrait de la<br />
comprendre.<br />
décennies 1830_1839<br />
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