Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
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Volupté Page 179 de Charles Augustin <strong>Saint</strong>e-Beuve 1835 291 pages<br />
… [264] Mais pour revenir aux lectures dont je vous parlais celle qui contrastait sans doute le<br />
plus avec le tourbillon agité de cette crise, et qui me rappela un moment assez haut vers la<br />
région invisible, avait pour objet quelques écrits d'un théosophe que j'aime à vous citer<br />
souvent, parce qu'il a beaucoup influé sur moi. Le livre Des Erreurs et de la Vérité et<br />
L'Homme de Désir, m'apportèrent avec obscurité plusieurs dogmes précieux, mêlés et comme<br />
dissous au milieu de mystiques odeurs. Une Réponse de <strong>Saint</strong>-Martin à Garat, que j'avais<br />
trouvée dans le Recueil des Ecoles Normales me renvoya à ces deux ouvrages dont j'avais<br />
déjà feuilleté le premier à Couaën, mais sans m'y arrêter.<br />
Cette Réponse elle-même où le sage énonce ses principes le plus simplement qu'il a jamais<br />
fait, cette manière calme et fondamentale, si opposée en tout à l'adresse de langage et, comme<br />
l'auteur les désigne, aux brillantes fusillades à poudre de l'adversaire, ce ton prudent, toujours<br />
religieux à l'idée, me remettaient aisément en des voies de spiritualisme ; car, sur ce point,<br />
j'étais distrait et égaré plutôt que déserteur. Une vérité entre autres m'y toucha sensiblement, et<br />
fit révélation en moi ; C'est l'endroit où il est dit que “ l'homme naît et vit dans les pensées ”.<br />
Bien des vérités qu'on croit savoir de reste et tenir, si elles viennent à nous être exprimées<br />
d'une certaine manière imprévue, se manifestent réellement pour la première fois ; en nous<br />
arrivant sous un angle qui ne s'était pas rencontré jusqu'alors, elles font subitement étincelle.<br />
Ainsi ce mot opéra à l'instant sur moi, comme si j'avais les yeux dessillés. Toutes les choses<br />
visibles du monde et de la nature, toutes les oeuvres et tous les êtres, outre leur signification<br />
matérielle, de première vue, d'ordre élémentaire et d'utilité, me parurent acquérir la<br />
signification morale d'une pensée, - de quelque pensée d'harmonie, de beauté, de tristesse,<br />
d'attendrissement, d'austérité ou d'admiration. Et il était au pouvoir de mon sens moral<br />
intérieur, en s'y dirigeant, d'interpréter ou du moins de soupçonner ces signes divers, de<br />
cueillir ou du moins d'odorer les fruits du verger mystérieux, de dégager quelques syllabes de<br />
cette grande parole qui, fixée ici, errante là, frémissait partout dans la nature. J'y voyais<br />
exactement le contraire du monde désolant de Lamarck, dont la base était muette et morte. La<br />
Création, comme un vestibule jadis souillé, se rouvrait à l'homme, ornée de vases sonores, de<br />
tiges inclinées pleine de voix amies, d'insinuations en général bonnes et probablement<br />
peuplées en réalité d'innombrables Esprits vigilants. Au-dessous des animaux et des fleurs, les<br />
pierres elles-mêmes, dans leur empêchement grossier, les pierres des rues et des murs<br />
n'étaient pas dénuées de toute participation à la parole universelle. Mais plus la matière<br />
devenait légère, plus les signes volatils et insaisissables et plus ils étaient pénétrants.<br />
Pendant plusieurs jours tandis que je marchais sous cette impression, le long des rues désertes,<br />
la face aux nuages, le front balayé des souffles de l'air, il me semblait que je sentais en effet,<br />
au-dessus de ma tête, flotter et glisser les pensées.<br />
Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'on peut être homme et tout à fait ignorer cela. On peut être<br />
homme de valeur, de génie spécial et de mérite humain et ne sentir nullement les ondulations<br />
de cette vraie atmosphère qui nous baigne ; ou, si l'on n'évite pas sans doute d'en être atteint,<br />
en quelque moment, on sait y rester glacé, s'en préserver comme d'un mauvais air, et fermer<br />
les canaux supérieurs de l'esprit à ces influences aimables qui le veulent nourrir.<br />
décennies 1830_1839<br />
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