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Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...

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succession présuppose la durée, dans laquelle elle n'est qu'un rapport [332] de nombre,<br />

comme le mouvement présuppose l'étendue. Qu'on ne cherche pas l'origine de la durée dans<br />

la succession : on ne la trouvera que dans l'activité du moi. Le moi dure, parce qu'il agit ; il<br />

dure sans cesse, parce qu'il agit sans cesse : sa durée, c'est son action continue, réfléchie<br />

dans la conscience et dans la mémoire : de la continuité de l'action naît la continuité de la<br />

durée ; si l'action cessait pour recommencer, et cessait encore pour recommencer encore, le<br />

moi se sentirait à chaque instant défaillir et renaître ; la durée serait une quantité discrète<br />

comme le nombre ; ses parties seraient séparées par des intervalles où il n'y aurait pas de<br />

durée. Elle est une quantité continue parce que le moi se sent continu, et il se sent continu,<br />

parce que son action est continue. Et plus loin il s'exprime en ces termes, pour montrer<br />

comment la pensée passe de la durée limitée à la durée illimitée :<br />

« A l'occasion de la durée contingente et limitée des choses, nous comprenons une durée<br />

nécessaire et illimitée, théâtre éternel de toutes les existences ; et non seulement nous la<br />

comprenons, mais nous sommes invinciblement persuadés de sa réalité. Cette durée est le<br />

temps. Que la pensée anéantisse, elle le peut, et les choses et leurs successions ; il n'est pas en<br />

son pouvoir d'anéantir le temps : il subsiste vide d'événements ; il continue de s'écouler,<br />

quoiqu'il n'entraîne plus rien dans son cours. Dans l'ordre de la connaissance, c'est la durée<br />

particulière du moi qui amène le temps ; dans l'ordre de la nature, le temps est antérieur, à<br />

toutes les vicissitudes qui s'opèrent en lui, à toutes les révolutions par lesquelles nous le<br />

mesurons. Le commencement du temps implique contradiction ; la supposition d'un temps qui<br />

aurait précédé le temps est absurde. »<br />

Enfin voici comment il compare en elles-mêmes et dans leurs idées le temps et l'espace :<br />

« Comme la notion de durée devient indépendante des événements qui nous l'ont donnée, de<br />

même la notion de l'étendue, aussitôt que nous l'avons acquise, devient indépendante des<br />

objets où nous l'avons trouvée. Quand la pen[333]sée anéantit ceux-ci, elle n' anéantit pas<br />

l'espace qui les contenait. Comme la notion d'une durée limitée nous suggère la notion du<br />

temps, c'est-à-dire d'une durée sans bornes, qui n'a pas pu commencer et qui ne pourrait pas<br />

finir, de même la notion d'une étendue limitée nous suggère la notion de l'espace, c'est-à-dire<br />

une étendue infinie et nécessaire qui demeure immobile, tandis que les corps s'y meuvent en<br />

tout sens. Le temps se perd dans l’éternité, l'espace dans l'immensité. Sans le temps il n'y<br />

aurait pas de durée; sans l'espace il n'y aurait pas d'étendue. Le temps et l'espace contiennent<br />

dans leur ample sein toutes les existences finies, et ils ne sont contenus dans aucune. Toutes<br />

les choses créées sont situées dans l'espace, et elles ont aussi leur moment dans le temps ;<br />

mais le temps est partout, et l'espace aussi ancien que le temps. »<br />

Reprenons. Le système qui réduit toute l'intelligence à la sensation n'est pas incomplet<br />

seulement parce qu'il n'explique pas les notions de substance, de cause, de temps et d'espace,<br />

il l'est aussi parce qu'il n'explique bien aucune idée morale. En effet, si la sensation est tout le<br />

sens humain, il ne peut y avoir que la matière qui soit un objet de connaissance : car la<br />

sensation ne tombe jamais que sur l'étendue, la figure, la couleur, etc. ; elle ne porte pas sur<br />

les faits qui sont du domaine de la conscience ; elle se fixe sur le monde, et ne se retour ne<br />

pas sur l'âme ; elle est la vue de l'esprit par les sens; et par les sens l'esprit ne voit ni passion,<br />

ni pensée, ni volonté ; il ne voit rien d'intime, de moral : il ne perçoit que le physique, du<br />

moins si on le réduit rigoureusement à la sensation, et qu'on ne prête pas à la sensation une<br />

propriété qu'elle n'a pas. Ainsi, borner l'homme au toucher, à la vue, au goût, à l'ouïe et à<br />

l'odorat, le borner à la sensibilité externe, c'est nier qu'il ait le sentiment des faits<br />

psychologiques ; ou, si on ne le nie pas, on désavoue, on contredit le principe duquel on part.<br />

Condillac serait en opposition avec lui-même s'il reconnaissait à l'âme humaine d'autres<br />

notions que celles des sens. Or, une telle conséquence ruine le système dont elle sort, et M.<br />

Royer-Collard n'eut pas de peine à le faire voir : il démontra qu'une idéologie qui se<br />

condamne [334] à ne rien dire du sens moral et des idées dont il est la source est par là même<br />

décennies 1830_1839<br />

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