Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...

comme lui, Velléius ne franchit pas la ligne courbe de l'identique et perpétuel ricosso ; il
n'avait pas pressenti le célèbre point de vue de Herder, la progression indéfinie du génie de
l'esprit humain.
Tout le monde a lu, dans le songe de Scipion, cet admirable débris d'inspirations
pythagoriciennes, la grande idée moitié philosophique, moitié astronomique des globes du
monde qui s'avancent avec une progression régulière pour renouveler, à des époques reculées
et fixées par la providence des dieux, le cours des astres avec le cours des empires. Chez les
modernes, les systèmes de Leibnitz sur l'harmonie préétablie et sur la raison suffisante offrent
de réelles analogies, avec les hypothèses historiques de notre école; et, dans le dernier siècle,
ce temps des systèmes aventureux, mais trop souvent stériles, sans élévation et sans portée,
souvenez-vous combien furent inventées de théories sur la marche et la progression de l'esprit
humain, et comme les Epicuriens de ce temps se prononçaient sur cet avenir intellectuel,
illimité; comme aussi ils se prenaient d'amour en présence de cette nature panthéistique qui
absorbe tout dans l'univers matériel.
Ils rêvent les progrès indéfinis de l'esprit; mais hélas ! emprisonnés qu'ils sont librement et par
leur propre volonté dans les limites de cette vie d'un jour, par delà laquelle ils ne pressentent
rien que ce puisse être, ils closent tout leur avenir dans cette terre ; et alors, comme ils se
plaisent à parer ce tombeau éternel » [172] comme ils font l'apothéose de la vie, et que de
merveilles ils prodiguent à leur espérance ! jusque-là que le plus éloquent parmi eux, dans son
célèbre tableau des progrès de l'esprit humain, arrive à établir comme probable l'espoir qu'un
jour la race humaine étant parvenue au point culminant de son irrésistible progression, tous les
secrets de la nature étant explorés et divulgués, la science, devenue victorieuse de la faux du
temps, pourra bien abolir la nécessité de mourir, et ne plus rien laisser à désirer à l'infaillible
et constante félicité de l'homme. Rêveur infortuné, qui s'épanouit à l'idée d'une terrestre
immortalité qu'il promet aux races à venir, et qu'en attendant, son siècle, parvenu comme il le
pense au plus haut point de la raison progressive, étendra sur la route publique, mourant du
poison que lui-même aura pris pour se soustraire à la hache des bourreaux émancipateurs.
Grâce au ciel, le système de Condorcet, qui est la plus haute et la dernière expression des
espérances humaines, selon les matérialistes du dix-huitième siècle, a été placé sur une base
plus généreuse par les écrivains que j'ai cités précédemment ; ils se sont élevés bien plus haut
pour voir de bien plus loin dans l'horizon de la destinée de l'homme ; ils ont senti que le vaste
théâtre du monde, dans lequel s'ébattait et se jouait la scène de la vie, était encore trop étroit
pour contenir la destinée définitive de l'homme ; comme Alexandre, ils ont étouffé dans les
limites du monde, angusto in limite mundi ; ils ont cherché le ciel à travers les successives
évolutions terrestres qu'ils s'attachent à expliquer. Quœsivit coelo lucem, comme dit le poète,
et ils n'ont point gémi comme la reine de Carthage, ingemuitque reperta, en saisissant le rayon
bienfaiteur; car ils ont senti que là se trouvait le repos définitif des générations incessamment
en marche pour ne s'arrêter que dans l'infini. Mais peut-être ils n'ont point assez vu que la vie
de ce monde n'était guère que le cours du pèlerinage laborieux que chacun a reçu mission
d'accomplir ; et négligeant trop l'homme individuel pour ne voir que le tout social, cette école,
en général, semble s'être attachée à reconnaître un but terrestre, spécial et manifeste, soit dans
l'humanité, soit dans chaque peuple, ces fractions de l'humanité ; dans chaque halte des
générations, elle a cru voir une pensée qu'il lui semblait facile de divulguer, et dans chaque
phase organisatrice enfin, un point fixe dont il est permis de déterminer a priori, et comme par
une formule infaillible, la destination absolue et le but providentiel.
Ce n'est pas que nous prétendions nier quelques résultats heureux et vraiment nouveaux de
leurs contemplations historiques. Sans doute il est permis de saisir quelques lueurs à l'égard
des directions que Dieu exerce sur les choses de la vie sociale, ne fût-ce que cette loi que les
gouvernails devraient se poser comme un axiome et une règle invariable de conduite, savoir :
que les États sont soumis à de certains degrés de développement, à des évolutions irrésistibles
décennies 1830_1839
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