Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
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edoubler mon affection pour ces pierres et ces rues innocentes où l'on a semé tant de pensées,<br />
où tant de réflexions lentes se sont accumulées en chemin comme une mousse, comme une<br />
végétation invisible, plus douce pourtant et plus touffue à l'oeil de l'âme que les gazons.<br />
A défaut d'établissement, l'idée de visiter, au moins en pèlerin, Chevreuse, les ruines de Port-<br />
Royal, et d'y chercher la trace des hommes révérés, ne pouvait me manquer, à moi qui avais<br />
déjà visité Aulnay, s'il vous en souvient, dans une intention semblable. Une ou deux fois<br />
donc, les jours de mes courses aux environs après les rechutes, je me dirigeai vers ce désert,<br />
prenant par Sceaux et les collines d'au-delà; mais mes pieds, n'étant pas dignes, se lassaient<br />
bientôt, ou je me perdais dans les bois de Verrières. Un simple caillou jeté à la traverse<br />
dérange tant nos plus proches espérances, que je n'exécutai jamais le voyage désiré.<br />
Qu'importe, après tout, la réalité matérielle des lieux, dès qu'un impatient désir nous les a<br />
construits? La pensée et l'image vivaient en moi; je n'ouvrais jamais un de ces livres imprimés<br />
à Cologne, avec l'abbaye de Port-Royal-des-Champs gravée au frontispice, sans reconnaître<br />
d'abord la cité de mes espérances, sans m'arrêter longtemps à ce clocher de la patrie.<br />
Au nombre des règles particulières que j'avais tirées de M. Hamon, il y en a qui ne me<br />
quittèrent plus, et qui s'ajoutèrent en précieux versets à mon viatique habituel.<br />
Tandis que j'étais si sensible à l'idée des lieux, je le trouvais qui recommande de ne pas trop<br />
s'y attacher, de ne pas se les figurer surtout comme un cadre essentiel à notre bonne vie. Il me<br />
rappelait par là le mot de l'Imitation : Imaginatio locorum et mutatio multos fefellii? ; l'idée<br />
qu'on se fait des lieux, et le désir d'en changer, sont un leurre pour beaucoup. Il citait le mot<br />
de saint Augustin : Loca offerunt quod amemus et relinquunt in anima turbas phantasmatum ;<br />
les lieux qui charment nos sens nous remplissent l'âme de distraction et de rêverie : “ Et cela<br />
est si vrai, disait-il, qu'il y a plusieurs personnes qui sont obligées de fermer leurs yeux<br />
lorsqu'elles prient dans des églises qui sont trop belle. ” Quelques-unes de ses maximes, en<br />
nos temps de querelle, me furent d'un conseil fréquent : “ On voit partout tant de semences de<br />
division, qu'il est fort difficile de n'y contribuer en rien qu'en se mêlant de peu de choses, en<br />
parlant peu et en priant beaucoup dans la retraite de sa chambre. ” Et ailleurs, au sujet des<br />
diversions inévitables et des secousses : “ Je vis bien qu'il fallait m'accoutumer à me faire une<br />
chambre qui pût me suivre partout, et dans laquelle je pusse me retirer, selon le précepte de<br />
l'Evangile, afin de m'y mettre à couvert du mauvais temps du dehors. ” Moi qui aimais tant à<br />
juger les autres, à séparer les nuances les plus intérieures, et à remonter aux racines des<br />
intentions ; qui, sans en avoir l'air, fouillais, comme ces médecins avides, à travers les<br />
poitrines, pour saisir les formes des coeurs et la jonction des vaisseaux cachés, il y avait bien<br />
lieu de m'appliquer cette parole : “ Je me trouvai, disait M. Hamon, si peiné et si las de juger,<br />
de parler, de m'inquiéter des autres, que je ne pouvais assez prier Dieu qu'il me délivrât de ce<br />
défaut qui m'empêchait de me convertir tout de bon. Je résolus de ne plus juger personne,<br />
voyant avec douleur que j'avais jugé des gens qui étaient meilleurs que moi... Car, si je<br />
méritais qu'on me définît, on pourrait me définir un homme qui, quand il dit quelque chose de<br />
bien, fait toujours le contraire de ce qu'il dit. ” Ainsi M. Hamon s'emparait de moi et me<br />
pénétrait par mes secrètes avenues. Je me voyais de plus avec lui des rapports fortuits,<br />
singuliers, comme quand il s'écrie : “ Je n'ai aucun parent; je n'avais qu'un oncle, Dieu me l'a<br />
ôté. ” Ces ressemblances ajoutaient à notre union. Il me préparait par l'attrait de son<br />
commerce à goûter de plus forts que lui, et me devenait un acheminement vers l'apôtre<br />
universel, saint Paul. Oh ! qu'ils sont plus chers que tous les autres, les guides inattendus,<br />
obscurs, rencontrés dans ces voies de traverse, par lesquelles les égarés rejoignent un peu<br />
avant le soir l'unique voie sacrée !<br />
décennies 1830_1839<br />
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