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Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...

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j'aurais été avec transport l'écuyer de Georges, l'aide de camp de M. de Couaën ; je me serais<br />

fondu corps et âme en quelque destin valeureux.<br />

Passionné de suivre et d'aller, j'aurais choisi éperdument Nemrod à défaut du vrai Pasteur. Des<br />

natures semblables, vouées envers les autres au rôle de suivantes affectueuses ou de<br />

compagnes, se retrouvent dans tous les temps et dans les situations diverses ; elles sont<br />

Héphestion aux Alexandre, elles sont l'abbé de Langeron aux Fénelon. Elles se<br />

décourageraient souvent et périraient à terre si elles ne rencontraient leur support ; Jean<br />

d'Avila se mourait d'abattement quand il fut relevé par Thérèse. Mais il en est aussi qui errent<br />

et se perdent en toute complaisance d'amitié, comme Mélanchthon qu'emmena Luther. Dans<br />

les Lettres mêmes, il est ainsi des âmes tendres, des âmes secondes, qui épousent une âme<br />

illustre et s'asservissent à une gloire :<br />

Wolff, a dit quelqu'un, fut le prêtre de Leibnitz. Dans les Lettres sacrées, Fontaine suivait<br />

Saci, et le bon Camus M. de Genève. Oh ! quand il m'arrivait d'entrer pas à pas en ces<br />

confidences pieusement domestiques, comme ma nature admiratrice et compréhensive se<br />

dilatait! comme j'aurais voulu avoir connu de près les auteurs, les inspirateurs de ces récits !<br />

Comme j'enviais à mon tour d'être le secrétaire et le serviteur des grands hommes! Ce titre<br />

d'acolyte des saints et des illustres me semblait, ainsi que dans l'Eglise primitive, constituer un<br />

ordre sacré. Après mon désappointement dernier dans les guides turbulents de ma vie<br />

extérieure, j'étais plus avide encore de me créer des maîtres invisibles, inconnus, absents ou<br />

déjà morts, humbles eux-mêmes et presque oubliés, des initiateurs sans bruit à la piété, et des<br />

intercesseurs ; je me rendais leur disciple soumis, je les écoutais en pensée avec délices.<br />

Ainsi je fis, alors pour M. Hamon, car c'est lui de qui je veux parler .<br />

M. Hamon était un médecin de la Faculté de Paris qui, à l'âge de trente-trois ans, vendit son<br />

bien et se retira à Port-Royal-des-Champs. Toujours pauvre, vêtu en paysan, couchant sur un<br />

ais au lieu de lit, ne mangeant que du pain de son qu'il dérobait sur la part des animaux, et<br />

distribuant ses repas en cachette aux indigents, sa vie fut une humilité, une mortification et<br />

une fuite continuelles. Il anéantissait sa science dont les malades seuls ressentaient les effets.<br />

On l'aurait jugé, à le voir, un homme du commun et un manant des environs; dans la<br />

persécution de 1664 contre Port-Royal, il dut à ce mépris que sa simplicité inspira, de rester<br />

au monastère à portée des religieuses captives, auxquelles il rendit tous les soins de l'âme et<br />

du corps. Cet homme de bien, consommé d'ailleurs dans les Lettres, avait pris en amitié le<br />

jeune Racine, qui était aux écoles de Port-Royal, et il se plaisait à lui donner des conseils<br />

d'études. Racine s'en souvint toujours; il apprécia cette sainteté couronnée de Dieu dans<br />

l'ombre, et, par testament, il demanda à être inhumé à Port-Royal, aux pieds de M. Hamon.<br />

Image et rétablissement du règne véritable ! O vous qui avez passé votre vie à vous rabaisser<br />

comme le plus obscur, voilà que les grands poètes, chargés de gloire, qui meurent dans le<br />

Seigneur, demandent par grâce à être ensevelis à vos pieds, selon l'attitude des écuyers fidèles<br />

!<br />

Je trouvai dans cette bibliothèque précieuse et je lus tous les écrits de M. Hamon. Ils sont<br />

négligés de composition et de style ; il se serait reproché de les soigner davantage. Il n'écrivait<br />

qu'à son corps défendant, par ordre de ses amis illustres, de ses directeurs, et leur injonction<br />

ne le rassurait pas sur son insuffisance. Il se repentait de se produire et de violer la religion du<br />

silence, qui sied disait-il, aux personnes malades et qu'il ne leur faudrait rompre que par le<br />

gémissement de la prière. La bonne opinion de ceux qu'il estimait ses supérieurs lui était<br />

comme un remords, comme un châtiment de Dieu et une crainte : “ Que sais-je si Dieu ne me<br />

décennies 1830_1839<br />

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