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Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...

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Revue de Paris Page 207 publié par <strong>Louis</strong> Désiré Véron 1837<br />

[205]<br />

Madame DE VARNHAGEN.<br />

“Full many a gem of purest ray serene,<br />

The dark unfathomed caves of ocean bear;<br />

Full many a flower is born lo blush unseen,<br />

And waste its sweetness on the desert air. »<br />

(Elegy written in a country church yard, by Thomas Gray.)<br />

Je n'ai jamais arrêté ma pensée sur le spectacle de la nature sans éprouver un sentiment<br />

d'effroi mêlé d'admiration. Le luxe des existences perdues plaît au régulateur de notre univers.<br />

Que de germes avortés, que de richesses inconnues !... Quelle dépense de spectacle sans<br />

spectateurs !... Que de problèmes insolubles pour l'intelligence du soi-disant roi de la nature<br />

!... En vain lui répète-t-on que l'indifférence du créateur pour l'individu ne s'étend pas jusqu'à<br />

la race.... Il y avait parmi les animaux des espèces qui ont disparu comme des nations parmi<br />

les hommes. Si la terrible influence du hasard s'arrête quelque part sur la terre, c'est au bord<br />

de la tombe. Là est écrit le mot de toutes les énigmes ; là, tout blasphème reçoit sa réponse.<br />

La transformation de notre être est si brusque et si complète, que nous la prenons pour<br />

l'anéantissement ; mais si la mort était la cessation de la vie, ou ce qui me parait synonyme, la<br />

perte du sentiment individuel, l'iniquité, la déraison, seraient Dieu, le seul Dieu du moins avec<br />

lequel l'esprit humain pourrait communiquer.<br />

Des réflexions analogues à celles que fait naître la contemplation de la nature sont inspirées<br />

au philosophe par l'étude des sociétés. Que de destinées manquées, que de force infructueuse<br />

et même souvent [206] aussi pernicieuse aux autres que nuisible à qui la possède ! quelle<br />

amère ironie dans la répartition des dons les plus rares et du succès, plus rarement encore<br />

proportionné au mérite ! que d'injustice dans les renommées, que de génie inconnu, de<br />

médiocrité illustre, que de talents avortés, de vertu calomniée, de vice déifié ! Et tout cela au<br />

profit de qui? Au profit de la mort. La mort hérite de toutes les vérités perdues dans le<br />

désordre de la vie de ce monde, elle recueille, elle classe, comme des semences précieuses,<br />

tous les moyens négligés, tous les dons étouffés, toutes les affections méconnues, tous les<br />

mérites obscurcis, tous les desseins de Die» trompés par les démons de la terre ; et c'est avec<br />

cette moisson de nobles débris, que la mort, c'est-à-dire l'esprit de vie par excellence, refait<br />

des palais aux gloires injuriées, jette des voiles sur les fronts injustement couronnés, entoure<br />

d'auréoles des têtes de héros insultés par le silence de la terre; en un mot, la mort, c'est la<br />

justice dégagée de toute entrave. La porte de la tombe est la seule ouverture par laquelle le<br />

saint jour de la vérité toute puissante pénètre du ciel jusqu'au cœur de l'homme.<br />

Le 7 mai 1833, il y a quatre ans et demi, Rachel, âgée de soixante-deux ans, est morte à<br />

Berlin, où elle était née. Je l'ai connue en 1816. C'était une femme aussi extraordinaire que<br />

Mme de Staël, par les facultés de l'esprit, par l'abondance des idées, la lumière de l'âme et la<br />

bonté du cœur : elle avait de plus que l'auteur de Corinne le dédain de l'éloquence; elle<br />

n'écrivait pas. Le silence des esprits comme le sien est une force. Avec plus de vanité, une<br />

personne aussi supérieure aurait cherché à se faire un public; Rachel n'a voulu que des amis.<br />

Elle parlait pour communiquer la vie qui était en elle ; jamais elle ne parlait pour être admirée.<br />

Je laisse aux esprits doués de plus de sagacité que je n'en ai à décider si l'obscurité dont elle<br />

n'a jamais essayé de sortir, était la conséquence inévitable de l'excès de vivacité qui<br />

l'empêchait quelquefois de coordonner ses idées de manière à les faire adopter par la foule, ou<br />

décennies 1830_1839<br />

121

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