Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
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On voit qu'il s'est fait ce qu'il est, de lui-même, sans effort, et par la vertu de sa puissante<br />
intuition. Lui-même a procédé par initiation successive à sa propre lumière ; il a commencé<br />
par le spontané de deux fables dans lesquelles le monde ancien et le monde moderne lui ont<br />
fourni, comme à son insu, deux types pleins de grandeur ; et alors cette pensée, d'abord<br />
confuse, et pareille à l'exposition d'un grand drame, est devenue une pensée réfléchie,<br />
lumineuse, intégrale, dans l'Essai sur les [79] Institutions, puis dans la Palingénésie, pour<br />
s'épanouir, splendide, dans l’Orphée, cette œuvre inimitable dont le mérite littéraire survivrait<br />
à la pensée philosophique qui l'a produite. Orphée est en effet le point central de toute cette<br />
poésie, c'est l'épopée sociale, l'épopée de la muse civilisatrice. Le poète a comme une seconde<br />
vue des générations éteintes, comme une prophétie du passé ; il marque le passage de l'âge<br />
héroïque à l'âge humain, donne, sous la formule poétique, l'histoire idéale des premières<br />
évolutions de l'esprit humain dans les temps antiques, évoque enfin le monde primitif au<br />
souffle palingénésique et au flambeau d'une singulière érudition.<br />
M. Ballanche a remarqué dans l'histoire du genre humain des sortes de haltes régulières, des<br />
époques obscures dans lesquelles le monde est en travail d'une nouvelle réalisation de la vérité<br />
sociale. Il a essayé de marquer le dégagement successif de cette vérité, apparaissant au jour<br />
après avoir brisé l'enveloppe laborieuse qui recouvre la civilisation. [80] Comme Hegel et son<br />
disciple Ganz, il raconte l'esprit humain, à ses époques primitives, sortant de l'enveloppement<br />
oriental où règne et pèse le despotisme religieux, pour entrer dans le développement<br />
démocratique, produit d'une époque plus avancée; il dévoile le secret de la hiérarchie des<br />
castes antiques, et fait suivre de l'œil l'émancipation du plébéianisme sur les patriciats<br />
orgueilleux et dégénérés.<br />
Cela est surtout admirable pour le monde romain, c'est Vico incomparablement agrandi. Dans<br />
sa préoccupation de cette idée que le monde est la grande cité, et que la cité n'est que la forme<br />
symétrique du monde, le véritable microcosme, comme disaient les anciens, renfermant en lui<br />
tous les éléments qui font l'univers, M. Ballanche s'attache à l'histoire romaine, que les<br />
travaux des Allemands postérieurs à Vico lui ont permis d'approfondir, et il cherche à<br />
symboliser cette histoire dans une formule qu'il lui semble possible d'appliquer soit aux autres<br />
nations en particulier, soit aux développements [81] et à la durée du monde entier. C'est là<br />
qu'on trouve cette idée profondément religieuse du monde considéré comme la cité mystique,<br />
telle qu'elle était conçue par le sentiment religieux des premiers Romains, quand leurs augures<br />
enfermaient la cité dans des murailles consacrées., et circonscrivaient dans le ciel, avec le<br />
bâton augurai, les limites du templum, ou de l'enceinte sacrée : haute et antique conception,<br />
selon laquelle la cité est le symbole de l'univers, et l'univers lui-même est considéré comme le<br />
temple dont la terre est l'autel, et l'homme le prêtre.<br />
Il a montré l'évolution sociale dans l'histoire du passé; il a, dans son élégie, représenté ce<br />
moment de transition, ce malaise qui saisit les peuples dans leurs jours de fin et de<br />
renouvellement, où les croyances sociales s'éteignent pour être remplacées par de nouvelles<br />
croyances, où une partie des hommes vit encore dans le passé, pendant que l'autre s'avance<br />
dans l'avenir : maintenant le poète se répand dans cet avenir qu'il regarde et pressent comme<br />
accompli ; il suppose l'esprit humain [82] parvenu à ce haut degré de perfectionnement qu'il a<br />
rêvé ; et alors, comme un commencement d'organisation de cet état, il fonde la ville des<br />
expiations, haute conception que nous ne connaissons encore que par fragments, et dont voici<br />
l'idée générale. Le monde est purifié, la peine de mort est abolie : que faire des criminels ? Eh<br />
bien, qu'ils soient placés dans une ville où, subissant la dernière épreuve, ils seront ramenés à<br />
la vertu de laquelle ils sont déchus, où le châtiment sera un moyen de réforme, où ils<br />
marcheront avec la cité universelle vers le bien, le bien qui finira par envelopper d'un réseau<br />
décennies 1830_1839<br />
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