Cyvard MARIETTE Louis-Claude Saint-MARTIN Les Décennies 19 ...
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<strong>Saint</strong>-Martin, l'abbé Carron et lui me firent merveilleusement sentir ce que c'est qu'édifier sa<br />
vie et y porter le don de spiritualité. Ce dur consiste à retrouver Dieu et son intention vivante<br />
partout, jusque dans les moindres détails et les plus petits mouvements, à ne perdre jamais du<br />
doigt un certain ressort qui conduit. Tout prend alors un sens, un enchaînement particulier,<br />
une vibration infiniment subtile qui avertit, un commencement de nouvelle lumière. La trame<br />
invisible, qui est la base spirituelle de la Création et des causes secondes, qui se continue à<br />
travers tous les événements et les fait jouer en elle comme un simple épanouissement de sa<br />
surface, ou, si l'on veut, comme des franges pendantes, cette trame profonde devient sensible<br />
en plusieurs endroits, et toujours certaine là même où elle se dérobe. Il y a désormais deux<br />
lumières ; et la terrestre, celle des sages selon les intérêts humains, et des savants dans les<br />
sciences secondes, n'est que pareille à une lanterne de nos rues quand les étoiles sont levées,<br />
que les vers luisants émaillent la terre, et que la lune du firmament admire en paix celle des<br />
flots. Dans cette disposition intérieure de spiritualité, la vigilance est perpétuelle ; pas un point<br />
ne reste indifférent autour de nous pour le but divin ; tout grain de sable reluit. Un pas qu'on<br />
fait, une pierre qu'on ôte, le verre qu'on range hors du chemin de peur qu'il ne blesse les<br />
enfants et ceux qui vont pieds nus, tout devient significatif et source d'édification, tout est<br />
mystère et lumière dans un mélange délicieux. Que sait-on ? - Dieu le sait, c'est là, en chaque<br />
résultat, le doute fécond l'idée rassurante qui survit. <strong>Les</strong> explications riantes abondent ; tel<br />
minime incident, qu'on n'eût pas auparavant remarqué, ouvre la porte aux conjectures<br />
aimables, adorantes, infinies : “ Quelquefois, dit <strong>Saint</strong>-Martin, Dieu prépare secrètement pour<br />
nous une chose qui nous peut être utile et même agréable, et, au moment où elle va arriver, il<br />
nous en inspire le désir avec l'envie de la lui demander, afin de nous donner l'occasion de<br />
penser qu'il l'accorde à nos prières, et de faire filtrer en nous quelque sentiment de sa bonté,<br />
de sa complaisance et de son amour pour nous. ” - C'est ainsi, mon ami, que, tandis qu'un<br />
diadème exagéré s'inaugurait après la tempête sous la splendeur des victoires, je suivais ma<br />
trace imperceptible à l'écart de la grande influence qui semblait tout envahir ; je subissais<br />
d'autres influences plus vraies, bien profondes et directes ; l'infiltration en moi des célestes<br />
rosées s'augmentait au travers du soleil de l'Empire. A mesure que je m'habituais dans cet<br />
univers de l'esprit, j'en appréciais davantage les cercles et l'étendue ; je sentais mieux, en<br />
présence de mon seul coeur, l'immensité des conquêtes à faire, la difficulté de les maintenir, et<br />
ainsi que l'Archevêque de Cambrai disait qu'il était à lui-même tout un grand diocèse ?, j'étais<br />
à moi-même toute une Europe à pacifier et à combattre, en cette année où se préparait<br />
Austerlitz.<br />
Qui eût pensé toutefois que ces trois hommes de peu de nom, que je vous ai dits, eussent<br />
usurpé tant d'empire sur une âme, si ouverte d'ailleurs et si prompte, à une époque où régnait<br />
l'Homme mémorable ? Et combien d'autres que j'ignore se trouvaient dans des cas plus ou<br />
moins pareils au mien, avec leurs inspirations immédiates, singulières, qui ne provenaient en<br />
rien de lui! Ne grossissons pas, mon ami, l'action, déjà assez incontestable, de ces colosses de<br />
puissance. <strong>Les</strong> trombes orgueilleuses de l'Océan, si haut qu'elles montent et si loin qu'elles<br />
aillent, ne sont jamais qu'une ride de plus à la surface, au prix de l'infinité des courants cachés.<br />
Page 217<br />
L'heure de la récréation était celle des visites que faisaient les personnes du dehors. Je n'avais<br />
pas à en recevoir, hors deux ou trois fois que mon aimable ami de Normandie me vint exprès<br />
embrasser. Je lui montrais, je lui expliquais tout ; il s'enchantait de ce calme à chaque pas et<br />
de cette économie des lieux et des heures. Je lui racontais, chemin faisant, mes histoires<br />
favorites de M. Hamon, de Limoëlan, de <strong>Saint</strong>-Martin et de l'abbé Canon ; son don de<br />
spiritualité s'avivait en m'écoutant, et il me répondait par d'autres traits non moins<br />
décennies 1830_1839<br />
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