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Tony Conrad : DreaMinimalist<br />
2008, 27', couleur, documentaire<br />
réalisation et production : Marie Losier<br />
participation : New York State Council<br />
of the Arts, Experimental Television Center<br />
Finishing Funds, FIAF<br />
Tony Conrad par lui-même. Devant <strong>la</strong> caméra<br />
de Marie Losier, le violoniste américain,<br />
membre fondateur, avec La Monte Young<br />
et John Cale, du Dream Syndicate, compagnon<br />
de route du minimalisme, complice<br />
de Charlemagne Palestine, expose deux autres<br />
facettes de son talent : celles du performeur<br />
et du cinéaste expérimental. Dans une suite<br />
de mises en scène truculentes, il rejoue<br />
l’histoire de sa vie.<br />
Le secret des artistes américains, ceux qui<br />
ont participé au mouvement d’émancipation<br />
des années 1960, serait-il de rester de grands<br />
enfants ? Tony Conrad, 68 ans au moment<br />
du tournage, s’amuse comme un fou<br />
et comme il l’annonce dès le début du film,<br />
gare à ceux qui voudraient l’en empêcher !<br />
Tout en racontant son parcours, les pénibles<br />
leçons de violon de l’enfance, les spectacles<br />
de marionnettes avec sa mère, l’émigration<br />
à New York où l’underground bouillonne,<br />
sa collocation avec Jack Smith, le réalisateur<br />
de F<strong>la</strong>ming Creatures (1963), chef-d’œuvre<br />
du cinéma queer, cette figure bedonnante<br />
et grisonnante se livre à des danses<br />
excentriques, se déguise en rappeur<br />
à capuche, saute à pieds joints sur un lit<br />
habillé en nourrisson et cuisine des conserves<br />
à partir de pellicules de cinéma… Pantomime,<br />
clowneries, dérision, <strong>la</strong> performance<br />
ne s’arrête jamais ! La joie est impérative.<br />
La bande son est entièrement signée<br />
par l’artiste (quand elle ne provient pas<br />
de sa collection de disques). S.M.<br />
transe enfantine<br />
A l’autre extrême, dans DreaMinimalist, <strong>la</strong><br />
réalisatrice Marie Losier (auteure du bouleversant<br />
The Bal<strong>la</strong>d of Genesis and Lady Jaye)<br />
livre une approche à <strong>la</strong> fois poignante et dérangeante<br />
de cette disposition à <strong>la</strong> transe enfantine,<br />
à <strong>la</strong> folie douce, qui semble être l’état permanent<br />
de Tony Conrad. Elle aussi saisit son personnage<br />
dans des moments de vie quotidienne, entre<br />
ses collections de cassettes et d’instruments<br />
à cordes, repas dans <strong>la</strong> cuisine en désordre et<br />
sortie des poubelles.<br />
Plutôt que de s’égarer dans <strong>la</strong> chronologie<br />
complexe d’une œuvre foisonnante et d’un<br />
accès souvent difficile pour qui n’est pas amateur<br />
passionné ou érudit spécialisé, elle effleure<br />
quelques aspects de sa biographie : souvenirs<br />
de jeunesse, entre une mère marionnettiste et<br />
des cours de violon <strong>la</strong>borieux, rencontre avec<br />
le compositeur La Monte Young et le réalisateur<br />
de films expérimentaux Jack Smith. Comme à<br />
son habitude, elle fabrique des séquences bricolées<br />
façon cinéma primitif, des petites mises<br />
en scène burlesques, postsynchronisées : chahuts<br />
enfantins, déguisements et travestissements<br />
divers, objets en mouvement, danses<br />
saugrenues accompagnées de musiques de<br />
dessins animés, guitare hawaïenne, pop instrumentale<br />
éthiopienne… Au cours de l’une<br />
d’entre elles, Tony Conrad est filmé en ombre<br />
chinoise devant un rideau, sur un très beau<br />
morceau pour violon et percussions. Dans le<br />
sous-titrage, drone music est traduit improprement<br />
par musique répétitive alors qu’il<br />
s’agit plutôt de musique de sons continus<br />
(dream music devenue drone music) dont Tony<br />
Conrad compositeur fut l’un des pionniers<br />
dans les années 1960 aux côtés de La Monte<br />
Young et de Theatre of Eternal Music.<br />
Mais ni l’improvisation en intonation juste, ni<br />
l’exploration des séries harmoniques qui sont<br />
au cœur de son œuvre musicale, ni son œuvre<br />
cinématographique ne constituent le sujet du<br />
film. Les méthodes de travail et <strong>la</strong> réflexion du<br />
réalisateur de Flicker (1965) – film stroboscopique<br />
légendaire constitué d’une succession<br />
rapide de cadres alternativement noirs et<br />
b<strong>la</strong>ncs, dont le spectacle peut provoquer une<br />
crise d’épilepsie chez les sujets fragiles, – se<br />
résument à une scène d’anthologie : coiffé<br />
d’une perruque et revêtu d’un pyjama rose,<br />
Tony Conrad applique une recette d’oignons<br />
en conserve à <strong>la</strong> fabrication d’un film expérimental.<br />
Dédoublé sur un même p<strong>la</strong>n, il fait<br />
cuire <strong>la</strong> pellicule puis <strong>la</strong> plonge dans l’eau<br />
savonneuse et enferme le résultat improbable<br />
dans des bocaux...<br />
Ces partis pris d’auteure, accumu<strong>la</strong>tions de<br />
métaphores ludiques et clowneries parfois à<br />
<strong>la</strong> limite du mauvais goût, ont de quoi dérouter<br />
le mélomane sérieux ou quiconque attendrait<br />
un portrait structuré de l’un des artistes américains<br />
les plus importants du mouvement<br />
minimaliste. Marie Losier filme ses rapports<br />
d’intimité artistique sans aucune prétention<br />
intellectuelle ou esthétique. Elle ne transforme<br />
pas les sujets de ses films en monuments<br />
de <strong>la</strong> culture universelle. A sa façon iconoc<strong>la</strong>ste,<br />
puérile et désordonnée, elle cerne<br />
peut-être au plus près une forme authentique<br />
de créativité qui échappe à des productions<br />
plus ambitieuses, mais ma<strong>la</strong>droites et dépourvues<br />
d’invention. A . P.<br />
A voir<br />
charlemagnepalestine.org<br />
tonyconrad.net<br />
vimeo.com/annemaregiano<br />
marielosier.net<br />
cnc.fr/idc :<br />
The Bal<strong>la</strong>d of Genesis and Lady Jaye,<br />
de Marie Losier, 2011, 68'<br />
et Images de <strong>la</strong> culture No.26, p.4-7 ;<br />
Patti Smith, l’océan des possibles,<br />
d’Anaïs Prosaïc, 1997, 51' ;<br />
Eliane Radigue, l’écoute virtuose,<br />
d’Anaïs Prosaïc, 2011, 61', sera présenté dans<br />
le prochain numéro d’Images de <strong>la</strong> culture.<br />
10 images de <strong>la</strong> culture