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<strong>la</strong> route du lin<br />

Vertes p<strong>la</strong>ines à l’horizon sans fin versus usines géantes éc<strong>la</strong>irées aux néons, La Pluie<br />

et le beau temps s’attache à <strong>la</strong> culture du lin en Normandie et son exportation<br />

puis transformation en Chine. Entretien avec sa réalisatrice Ariane Doublet qui documente<br />

une fois de plus sa région natale, cette fois sous l’angle de <strong>la</strong> globalisation.<br />

Comment se situe La Pluie et le beau temps<br />

par rapport à vos films précédents tournés<br />

dans <strong>la</strong> même région ?<br />

Il y a évidemment des croisements entre mes<br />

films normands. Certains personnages reviennent<br />

dans plusieurs films, comme Philippe<br />

Olivier, personnage des Terriens qui devient le<br />

personnage principal de La Maison neuve. La<br />

personne qui vient lui acheter son tracteur<br />

quand il prend sa retraite est l’un des Sucriers<br />

de Colleville. La Pluie et le beau temps a pris<br />

sa p<strong>la</strong>ce dans un coffret DVD intitulé Suite<br />

normande (Ed. Montparnasse, 2012) qui comprend<br />

Les Terriens (1999), Les Bêtes (2001), Les<br />

Sucriers de Colleville (2003), La Maison neuve<br />

(2005) et plusieurs petits films. Entre autres,<br />

Rencontres, un inédit de 26 minutes que j’ai réalisé<br />

parallèlement à La Pluie et le beau temps,<br />

sur une jeune fille chinoise qui n’était jamais<br />

allée à <strong>la</strong> campagne, ni en Chine ni en France,<br />

et qui rencontre des agriculteurs normands.<br />

Outre leur ancrage géographique, ces films<br />

ne sont-ils pas liés par un certain rapport<br />

au temps et à l’espace ?<br />

Oui, mais il est aujourd’hui fragile et très<br />

menacé. Depuis mon enfance, j’ai vu beaucoup<br />

de changements dans ce petit périmètre<br />

de 50 km2 autour de Fécamp que j’ai choisi<br />

d’observer. Il m’est si familier que je les remarque<br />

tout de suite. Quand j’ai vu des containers chinois,<br />

je me suis tout de suite posé des questions.<br />

Les agriculteurs ne m’avaient pas dit qu’ils<br />

vendaient leur lin en Chine depuis plusieurs<br />

années. Ce qui est devenu très fragile, c’est le<br />

rapport à <strong>la</strong> temporalité. Dans le monde agricole,<br />

on imagine que le temps est incompressible,<br />

mais aujourd’hui il s’accélère tandis que l’espace<br />

se restreint. Les terres agricoles cèdent <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<br />

à des lotissements ou des ronds-points aux<br />

entrées et sorties des villes. En ce moment, je<br />

travaille là-dessus : comment peut-on vouloir<br />

une agriculture plus raisonnée si dans le même<br />

temps on réduit les superficies cultivées ?<br />

D’où vient votre proximité avec<br />

le monde agricole ?<br />

Ce<strong>la</strong> remonte à l’enfance. Petite, j’al<strong>la</strong>is tout le<br />

temps dans <strong>la</strong> ferme d’à côté, je conduisais le<br />

tracteur, je m’occupais des cochons. Dès que<br />

je pouvais, j’al<strong>la</strong>is chez nos voisins ramasser<br />

<strong>la</strong> paille ou aider à tuer les poulets. A l’adolescence,<br />

ce goût m’est passé complètement.<br />

Mais, à l’occasion d’un concours organisé pour<br />

le centenaire du cinéma, j’ai présenté un scénario<br />

qui se passait dans cette ferme. Ensuite,<br />

l’éclipse de 1999 m’a fourni un fil quasi fictionnel<br />

qui m’a permis de concevoir Les Terriens.<br />

Avez-vous d’emblée pensé <strong>la</strong> cohérence<br />

de votre travail de cinéaste autour du monde<br />

rural ?<br />

Non, avec mon premier film sur les Terre-Neuvas,<br />

je suis allée vers <strong>la</strong> mer. Mais <strong>la</strong> pêche à Terre-<br />

Neuve était aussi une spécialité de Fécamp.<br />

Dans ce petit coin résonnent finalement les<br />

tumultes du monde. Je pense souvent à Fernando<br />

Pessoa qui dit “dans mon vil<strong>la</strong>ge, il y a le<br />

monde entier”.<br />

C’est d’autant plus évident dans La Pluie<br />

et le beau temps.<br />

Dans Les Terriens, on saisissait le rapport<br />

entre <strong>la</strong> ville et <strong>la</strong> campagne, entre les citadins<br />

qui viennent voir l’éclipse et les ruraux chez qui<br />

ils font irruption. A l’époque, <strong>la</strong> globalisation<br />

n’était pas aussi avancée. Aujourd’hui, <strong>la</strong> Chine<br />

se mêle à <strong>la</strong> vie du vil<strong>la</strong>ge. Ce qui m’a intéressée<br />

c’est de voir comment les Chinois et les<br />

Normands travaillent ensemble. Les coopératives<br />

de lin normandes vendent directement<br />

aux fi<strong>la</strong>tures chinoises sans intermédiaire.<br />

Comme le lin n’est qu’une petite niche qui ne<br />

représente que 1% du textile mondial, les producteurs<br />

et les fi<strong>la</strong>teurs sont obligés de travailler<br />

ensemble. J’ai eu envie de faire l’allerretour<br />

entre ces deux mondes. Mais comme je<br />

ne parle pas chinois, je ne me sentais pas<br />

capable d’entrer en re<strong>la</strong>tion avec les gens,<br />

La Pluie et le beau temps<br />

2011, 75', couleur, documentaire<br />

réalisation : Ariane Doublet<br />

production : Quark Productions<br />

participation : <strong>CNC</strong>, ministère de <strong>la</strong> Culture<br />

et de <strong>la</strong> Communication (DGP), Procirep,<br />

Angoa, Programme Média<br />

Des producteurs normands qui en ont fait<br />

leur spécialité aux fi<strong>la</strong>tures chinoises où<br />

il est traité, le lin passe entre de nombreuses<br />

mains. Celles des agriculteurs qui<br />

le cultivent et des ouvriers qui le teillent,<br />

celle des commerciaux qui disputent<br />

de ses qualités et prix, enfin celles<br />

des ouvrières qui le transforment en fil<br />

et en étoffe. En chroniquant ces différentes<br />

étapes, Ariane Doublet propose un aperçu<br />

au ras du sol de <strong>la</strong> mondialisation.<br />

Le film se partage entre des séquences<br />

paisibles tournées par Ariane Doublet<br />

dans l’espace ouvert de <strong>la</strong> campagne<br />

normande et d’autres fébriles tournées<br />

par le documentariste chinois Wen Hai<br />

dans l’espace confiné et saturé d’activités<br />

des fi<strong>la</strong>tures chinoises. D’un côté le temps<br />

immuable des saisons, <strong>la</strong> parole rare<br />

de ces paysans qu’Ariane Doublet connaît<br />

si bien, de l’autre le rythme accéléré<br />

d’une Chine en pleine croissance,<br />

avec ses millions de jeunes ouvriers accourus<br />

de toutes les provinces. Le contraste semble<br />

total entre ces deux mondes. La jonction<br />

néanmoins s’opère par le biais des négociants<br />

français et chinois qui s’efforcent<br />

de surmonter l’écart de <strong>la</strong> distance<br />

géographique, des <strong>la</strong>ngues et des cultures.<br />

En dépit de maints obstacles que le film<br />

montre souvent avec humour, l’ajustement<br />

du prix se fait et, grâce au lin, Normandie<br />

et Chine apprennent à coopérer et même<br />

à s’estimer. Une vision somme toute positive<br />

de <strong>la</strong> globalisation. E.S.<br />

autour du monde 51

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