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misme des Trente Glorieuses et son idéologie<br />

du progrès.<br />

<strong>la</strong> passoire à thé<br />

Méditation poétique sur notre modernité, le<br />

film est avant tout un exercice de montage<br />

conçu comme une composition musicale. Le<br />

texte des carnets, véritable ready-made poétique,<br />

a un rythme et une musicalité qui servent<br />

de modèles tant pour le montage que<br />

pour <strong>la</strong> bande son. L’alternance entre répétition<br />

et invention de motifs est <strong>la</strong> structure<br />

récurrente pour l’agencement des p<strong>la</strong>ns et<br />

pour <strong>la</strong> musique, jeu de résonance entre cordes<br />

pincées, grattées ou frappées.<br />

“9 juin : soirée. Je débouche avec une aiguille<br />

<strong>la</strong> passoire à thé”, une activité qui, à force de<br />

vouloir recréer un ordre, amène le désordre de<br />

<strong>la</strong> folie. Sur ces images, un discours du général<br />

de Gaulle qui tente de rétablir l’ordre politique<br />

dans le pays, tout en exaltant le progrès technique<br />

et en regrettant l’éventuelle aliénation<br />

de l’homme par <strong>la</strong> machine. Mais qu’il s’agisse<br />

de politique, de montage ou de musique, l’ordre<br />

et le désordre sont des notions réversibles, en<br />

constante circu<strong>la</strong>tion. La passoire à thé devient<br />

le système gril<strong>la</strong>gé à partir duquel se mesure<br />

le désordre, <strong>la</strong> portée musicale à partir de<br />

<strong>la</strong>quelle se détachent des événements musicaux,<br />

<strong>la</strong> norme qui permet d’évaluer les écarts<br />

et les retournements.<br />

Le désordre est aussi une notion scientifique,<br />

liée à l’entropie : un physicien intervient avec<br />

un haut-parleur p<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> Sorbonne pour<br />

expliquer l’état de désordre d’un système en<br />

thermodynamique. C’est alors que Monsieur<br />

M, 1968 renoue avec une forme de philosophie<br />

antique, à l’écoute des correspondances entre<br />

l’harmonie physique, politique et musicale.<br />

Ainsi, l’invention d’une figure poétique qui fait<br />

se confronter les événements de mai 1968, et<br />

les feuilles de thé dans une passoire, acquiert<br />

une forme d’évidence inattendue. C’est alors<br />

que l’utilisation des gros p<strong>la</strong>ns prend tout son<br />

sens, comme si paradoxalement elle permettait<br />

de trouver <strong>la</strong> bonne distance et le re<strong>la</strong>tivisme<br />

suffisant pour que le cinéma puisse ouvrir tout<br />

système clos de pensée, d’analyse politique<br />

ou de perception. J.A.<br />

une partie de campagne<br />

Premier long métrage d’Alessandro Comodin, L’Eté de Giacomo a été primé en 2011<br />

au festival de Locarno (Léopard d’Or dans <strong>la</strong> catégorie Cinéaste du Présent) et au festival<br />

Ent<strong>revue</strong>s de Belfort (Grand Prix du Jury). Entretien avec le cinéaste trentenaire italien.<br />

En révé<strong>la</strong>nt d’emblée l’imp<strong>la</strong>nt cochléaire qui<br />

ceint l’oreille de Giacomo, L’Eté de Giacomo fait<br />

une promesse que, subtilement, il ne tiendra<br />

pas. Le film n’est pas, ou si peu, le portrait d’un<br />

adolescent sourd. Ou plutôt : <strong>la</strong> surdité n’est<br />

pas le sujet. Plutôt que cette voie-là, Alessandro<br />

Comodin choisit de suivre avec Giacomo un autre<br />

chemin, chemin sensuel et épineux d’une partie<br />

de campagne, sous le soleil ardent de l’été.<br />

Giacomo ne s’y aventure pas seul : une fille<br />

l’accompagne, puis une autre. C’est que le chemin<br />

tortueux qu’il entreprend n’est pas seulement<br />

celui, édénique, de cette campagne du<br />

Frioul où Comodin a choisi de filmer. C’est aussi<br />

celui de l’adolescence, de ses désirs pressants<br />

et ma<strong>la</strong>droits, terrain sans cesse changeant,<br />

comme se dép<strong>la</strong>ce chaque été le lit du fleuve<br />

émeraude qui, au bout de leur trajet, attend<br />

Giacomo et les filles comme un trésor.<br />

Il ne reste dans L’Eté de Giacomo qu’une part<br />

infime de ce qui était votre projet<br />

quand vous avez décidé de filmer Giacomo.<br />

Quel était ce projet de départ ?<br />

Giacomo, que je connais bien puisqu’il est le<br />

petit frère d’un ami d’enfance, est devenu sourd<br />

à l’âge de six mois, à <strong>la</strong> suite d’une méningite. A<br />

18 ans, il a décidé de se faire opérer pour<br />

retrouver l’ouïe. Mon idée était de filmer tout<br />

ce processus, <strong>la</strong> pose de l’imp<strong>la</strong>nt et <strong>la</strong> métamorphose<br />

de Giacomo à l’arrivée du son. Cette<br />

opération, qui prenait p<strong>la</strong>ce pour lui à un âge<br />

très symbolique, il en par<strong>la</strong>it comme d’une<br />

sorte de miracle. Je m’étais donc <strong>la</strong>ncé le défi<br />

de faire un documentaire sur ce miracle. J’ai<br />

filmé Giacomo avant l’opération, puis l’opération<br />

elle-même, et j’ai compris à ce moment-là<br />

que ce miracle, qui n’en était pas vraiment un,<br />

il me serait impossible de le filmer. Et qu’il me<br />

fal<strong>la</strong>it, plutôt qu’axer le film sur <strong>la</strong> surdité,<br />

m’intéresser à un autre miracle, plus intime : le<br />

fait que Giacomo grandissait, qu’il devenait<br />

adulte. L’opération, alors, n’était plus fondamentale<br />

dans le film. L’important était de filmer<br />

Giacomo en tant que garçon de son âge plutôt<br />

qu’en tant que sourd. Au final, il ne reste dans<br />

le film aucune des images que j’avais tournées<br />

avant l’opération, hormis celles qui ouvrent le<br />

film et qui le voient jouer de <strong>la</strong> batterie.<br />

Commet avez-vous décidé que le film<br />

al<strong>la</strong>it se concentrer sur l’été de Giacomo ?<br />

Avant même de commencer à tourner, j’avais<br />

établi un dispositif qui consistait à filmer, d’une<br />

part, le processus médical avec une caméra<br />

numérique ; d’autre part, le dernier été de Giacomo<br />

avant l’opération, cette fois sur pellicule.<br />

Ce premier tournage a finalement servi de<br />

répétition, en quelque sorte, à ce qu’al<strong>la</strong>it être<br />

le film, qui a été tourné l’été suivant. Il m’a permis<br />

d’affiner <strong>la</strong> démarche, <strong>la</strong> méthode d’improvisation,<br />

le choix des lieux.<br />

Comment avez-vous choisi ces décors,<br />

qui jouent un rôle essentiel dans le film ?<br />

Il s’agissait de plonger Giacomo dans un milieu<br />

a priori hostile pour lui, afin de voir ce qui al<strong>la</strong>it<br />

se passer. Giacomo a toujours été excessivement<br />

protégé par sa famille, il sortait très peu<br />

et avait développé un certain nombre d’obsessions,<br />

notamment une phobie de <strong>la</strong> saleté et<br />

de <strong>la</strong> nature.<br />

Son éveil au monde après l’opération<br />

dépasse donc de beaucoup <strong>la</strong> seule<br />

découverte du son…<br />

Oui, et <strong>la</strong> plongée dans ce milieu “hostile” était<br />

un moyen d’éprouver tous ses sens. J’ai choisi<br />

des lieux qui représentaient quelque chose de<br />

typique de cette dimension d’éveil propre à<br />

l’adolescence. Ce sont des endroits que fréquentent<br />

les jeunes de <strong>la</strong> région : le fleuve, ses<br />

p<strong>la</strong>ges, <strong>la</strong> discothèque, <strong>la</strong> fête foraine, les maisons<br />

abandonnées. D’autant que je vou<strong>la</strong>is<br />

faire aussi, un peu, un portrait de cette région<br />

où j’ai grandi, parce que je me reconnaissais<br />

en Giacomo : j’étais moi-même un peu inhibé à<br />

son âge. Le fleuve était pour moi le lieu le plus<br />

riche, peut-être en partie parce que j’y ai<br />

beaucoup de souvenirs. Pour autant, le décor<br />

autour du monde 65

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