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divorce. La femme est devenue celle qu’on<br />

gifle, qu’on brutalise, qu’on viole, <strong>la</strong> coupable<br />

rejetée au milieu de <strong>la</strong> foule. La solitude surgit<br />

d’images assombries, <strong>la</strong> cadrant enfermée dans<br />

une voiture, comme si sa beauté ne pouvait<br />

être acceptée plus longtemps. Des images de<br />

pendules, de temps scandé se succèdent. Des<br />

vues d’hôpital, de femme accidentée, de morgue<br />

annoncent <strong>la</strong> fin de l’icône, <strong>la</strong> fin du film.<br />

Dans l’épilogue, un lecteur de cassettes VHS<br />

et un vieux poste de télévision <strong>la</strong>issent défiler<br />

au ralenti <strong>la</strong> star dansant, toute de rouge<br />

vêtue. En off, <strong>la</strong> voix de Soad, comme sortie<br />

d’un autre film : “Nous sommes tous les enfants<br />

de Naïma <strong>la</strong> danseuse, les enfants dépassés<br />

par le monde en marche. Chaque fois qu’on<br />

essaie de se relever, on retombe écrasés par<br />

notre fardeau ne sachant pas s’il faut se haïr<br />

ou haïr le monde. La solution alors ? C’est de<br />

bien se connaître, ne pas regarder derrière ni<br />

sombrer dans le présent mais regarder devant,<br />

toujours devant.” Puis le rouge sursaturé envahit<br />

tout l’écran et se délite jusqu’au noir final.<br />

incrustations d’une icône<br />

Les effets visuels qui soulignent l’usure des<br />

images semblent rendre hommage aux VHS<br />

qui ont révolutionné <strong>la</strong> diffusion des films à<br />

domicile tout en sonnant le g<strong>la</strong>s d’une certaine<br />

suprématie du cinéma égyptien. Mais<br />

les altérations des bandes utilisées renvoient<br />

aussi à l’altération de l’image de <strong>la</strong> star, peu à<br />

peu effacée et aujourd’hui lointaine aux yeux<br />

des spectateurs. En s’appropriant ses scènes<br />

jouées pour les revisiter, les remodeler, Rania<br />

Stephan conçoit un montage signifiant qui fait<br />

corps avec son personnage pour esquisser<br />

des lignes de récit. Pourtant, les mouvements<br />

d’images sont moins montés en fonction d’une<br />

histoire à lire que dans l’optique de jeux formels<br />

constructifs. D’ailleurs, Rania Stephan<br />

cite volontiers Jean-Luc Godard comme référence,<br />

mais aussi des photographes, des<br />

artistes attachés aux dispositifs. Les Trois<br />

Disparitions de Soad Hosni s’apparente ainsi<br />

à un travail de réalisatrice p<strong>la</strong>sticienne, attachée<br />

à creuser <strong>la</strong> persistance des images pour<br />

en fixer l’écoulement. Elle termine son montage<br />

le 26 janvier 2011, le jour de l’anniversaire<br />

de Soad Hosni, mais aussi le deuxième jour de<br />

<strong>la</strong> révolution égyptienne en marche. Ce geste<br />

induit comme une incrustation supplémentaire<br />

de <strong>la</strong> star dans les mouvements actuels<br />

de son pays. Une ultime impression de l’âme<br />

d’une artiste, au corps disparu mais encore<br />

visible. M. A.<br />

d’entre les morts<br />

Quand Pascal Hofmann et Benny Jaberg débutent <strong>la</strong> réalisation de leur documentaire<br />

sur Daniel Schmid, ils annoncent l’intention de faire un film non pas sur lui, mais avec lui.<br />

Cette profession de foi est aussitôt contredite par <strong>la</strong> mort du cinéaste, le 6 août 2006.<br />

De cette impossibilité, les réalisateurs tirent une force, et peut-être le sujet même de leur film.<br />

Car Daniel Schmid, le chat qui pense est avant tout un film de fantômes, ce qui est une belle<br />

manière de rendre hommage à l’œuvre d’un réalisateur qui n’a cessé d’osciller entre souvenirs<br />

réels et images rêvées, faisant du cinéma une cérémonie de <strong>la</strong> résurrection.<br />

Par Martin Drouot.<br />

Les photos en noir et b<strong>la</strong>nc et les images d’archives<br />

rayées, inscrites dans leur époque, se<br />

multiplient comme autant de visages d’une vie<br />

passée, intime et collective à <strong>la</strong> fois : Rainer<br />

Werner Fassbinder, Ingrid Caven, Renato Berta,<br />

Werner Schroeter, Bulle Ogier, Doug<strong>la</strong>s Sirk et<br />

tant d’autres, dont Pascal Hofmann et Benny<br />

Jaberg pourraient bien être les derniers jalons.<br />

Ces rencontres nourrissent l’œuvre de Schmid<br />

jusqu’à en devenir <strong>la</strong> matière même. C’est le<br />

cas par exemple de ses amies et actrices Bulle<br />

Ogier et Ingrid Caven – “un écran b<strong>la</strong>nc sur<br />

lequel il peut peindre”, dit de cette dernière<br />

Renato Berta. C’est le cas aussi des autres<br />

réalisateurs qui l’influencent dans des œuvres<br />

fécondes et quasi bicéphales : avec L’Ombre<br />

des anges (1976), Schmid adapte <strong>la</strong> pièce de<br />

Fassbinder L’Ordure, <strong>la</strong> ville et <strong>la</strong> mort et lui<br />

confie le rôle principal.<br />

En près de quinze films pour le cinéma et <strong>la</strong><br />

télévision et une demi-douzaine de mises en<br />

scène d’opéra, Schmid déploie une œuvre de<br />

<strong>la</strong> mémoire dont le lieu matriciel pourrait bien<br />

être le hall d’un hôtel. Hofmann et Jaberg citent<br />

les extraits des films de Schmid comme Agnès<br />

Varda utilisait les films de Jacques Demy dans<br />

Jacquot de Nantes (1990). Ici nulle séparation<br />

entre <strong>la</strong> vie et l’art, les deux ne font qu’un ; souvenirs<br />

et rêveries se mêlent ; les films sont une<br />

mémoire qui a trait à l’enfance. Une fois le lieu<br />

secret de son imaginaire désigné – Schmid a<br />

fait de cet hôtel de montagne suisse où il a<br />

grandi dans le carcan matriarcal le sujet de<br />

Hors saison (1992) – Hofmann et Jabert ne<br />

cessent d’y revenir comme à <strong>la</strong> recherche d’une<br />

apparition. Il y a quelque chose de musical<br />

dans cette idée, <strong>la</strong> scansion d’un leitmotiv qui<br />

n’est pas que le lieu de <strong>la</strong> mémoire : c’est aussi<br />

le lieu de <strong>la</strong> représentation.<br />

hypnose<br />

Son premier film pour le cinéma, Cette nuit ou<br />

jamais (1972), est l’histoire d’une double<br />

représentation. Tourné dans l’hôtel familial, il<br />

évoque une tradition en Bohème où une fois<br />

l’an, maîtres et serviteurs inversent les rôles.<br />

Une troupe d’acteurs vient jouer des saynètes<br />

aux serviteurs devenus maîtres. Ce qui frappe<br />

dans ce spectacle en miroir, c’est <strong>la</strong> transformation<br />

du spectacle en hypnose. Le premier<br />

p<strong>la</strong>n du film est un cadre fixe où entrent un à<br />

un des serviteurs à <strong>la</strong> démarche fantomatique<br />

d’acteurs du cinéma expressionniste. Cet effet<br />

de ralentissement se poursuit dans une scène<br />

clef : les serviteurs viennent s’asseoir face<br />

caméra, guidés par <strong>la</strong> maîtresse des lieux qui<br />

tend les mains telle une prêtresse. Ils restent<br />

ainsi alignés comme des fantoches qui attendraient<br />

que <strong>la</strong> vie se pose sur eux. Les comédiens<br />

jouent alors des saynètes connues (<strong>la</strong> mort de<br />

Mme Bovary) et l’un d’entre eux finit par les pousser<br />

à <strong>la</strong> révolte, leur expliquant que les c<strong>la</strong>sses<br />

sont une invention du système. Seul un rire<br />

grotesque vient répondre à l’appel. Car les serviteurs<br />

sont incapables d’agir, d’imaginer même<br />

– donc de mettre en scène – l’acte de <strong>la</strong> révolte.<br />

Mais ils semblent aussi incapables de regarder,<br />

car contrairement aux maîtres, ils restent de<br />

g<strong>la</strong>ce devant le spectacle. Le montage multiplie<br />

les p<strong>la</strong>ns des regards obliques qui s’appellent<br />

l’un l’autre : un regard suit une direction qui<br />

mène à un autre personnage qui mène luimême<br />

à un autre… Les regards bien vivants<br />

des acteurs qui jouent s’opposent aux regards<br />

mortifères des serviteurs, exsangues. Derrière<br />

l’allégorie politique, Schmid dit aussi que le<br />

cinéma est une forme d’hypnose collective.<br />

L’hypnose est en effet moins un état proche du<br />

sommeil qu’une focalisation extrême de l’attention.<br />

La direction d’acteurs de Schmid n’est en<br />

24 images de <strong>la</strong> culture

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