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Film retenu par <strong>la</strong> commission<br />
Images en bibliothèques<br />
La pluie et le beau temps vient après d’autres<br />
documentaires sur les matières premières nous<br />
expliquer le commerce mondial et son cortège<br />
de déséquilibres. Pour <strong>la</strong> filière lin, les rapports<br />
entre <strong>la</strong> politique et l’économie semblent<br />
cette fois-ci inversés. Nous savions l’agriculture<br />
française en prise directe avec les fluctuations<br />
des cours mondiaux, mais nous avons oublié<br />
à quel point l’économie chinoise est pilotée<br />
depuis Pékin. Ce face-à-face entre les deux<br />
systèmes se découvre progressivement grâce<br />
aux témoignages des exploitants français.<br />
Leurs explications révèlent que les industriels<br />
chinois dépendent des cours mondiaux du lin,<br />
libellés en dol<strong>la</strong>r, et donc de l’économie<br />
américaine. Le système intégré et paternaliste<br />
à <strong>la</strong> chinoise se fendille sous l’effet des hausses<br />
de sa<strong>la</strong>ire qui rendent <strong>la</strong> main d’œuvre plus<br />
vo<strong>la</strong>tile, et les menaces de délocalisation<br />
en Inde toujours plus précises.<br />
En somme, <strong>la</strong> démarche d’Ariane Doublet<br />
consiste à mettre en regard les conditions<br />
de travail en Normandie avec celles des usines<br />
chinoises pour mieux souligner le rapport<br />
de force. Le point de vue du consommateur<br />
occidental fait oublier à quel point les Chinois<br />
dépendent de matières premières dont<br />
ils manquent souvent cruellement.<br />
Dans cette interre<strong>la</strong>tion, le lin peut sembler<br />
anecdotique au regard des enjeux du pétrole<br />
ou de l’acier pour l’économie chinoise.<br />
Mais les exploitants normands sont en position<br />
de force et négocient âprement,<br />
sans pour autant se départir de <strong>la</strong> passion<br />
qui les anime. Si La Pluie et le beau temps<br />
progresse de manière assez relâchée, le film<br />
expose avec justesse <strong>la</strong> situation en évitant<br />
tous les travers didactiques du film dossier.<br />
Sans jamais assommer le spectateur, Ariane<br />
Doublet <strong>la</strong>isse plutôt aux intéressés le soin<br />
de nous faire comprendre toutes les facettes<br />
de cette drôle d’histoire franco-chinoise,<br />
soumise aux aléas finalement rassurants<br />
des variations saisonnières.<br />
Julien Farenc (BnF, Paris)<br />
notamment avec les ouvriers, comme je cherche<br />
à le faire dans tous mes films. Et il n’était pas<br />
question de se contenter de <strong>la</strong> parole du directeur<br />
de l’usine. De là est venue l’idée de travailler<br />
avec Wen Hai.<br />
Vous sentez-vous une proximité<br />
avec <strong>la</strong> manière de filmer de Wen Hai ?<br />
J’aime le rapport fort qu’il noue avec les gens<br />
qu’il filme et surtout sa façon de les inscrire dans<br />
un espace et dans une situation. La communication<br />
entre nous a été assez difficile parce<br />
qu’il ne parle ni français, ni ang<strong>la</strong>is. Mais nous<br />
nous sommes vus lorsqu’il est venu au festival<br />
Cinéma du Réel à Paris. Nous avons fait chacun<br />
nos repérages, nous nous sommes montré des<br />
images. Wen Hai a eu vraiment carte b<strong>la</strong>nche<br />
pour le tournage et il m’a donné carte b<strong>la</strong>nche<br />
pour le montage. J’ai reçu quinze heures de<br />
rushes, évidemment sans traduction. Au montage,<br />
<strong>la</strong> matière française et <strong>la</strong> matière chinoise<br />
se sont confrontées. Maintenant, j’aimerais<br />
que le film puisse être montré en Chine mais<br />
nous n’avons pas encore le budget pour produire<br />
une version chinoise.<br />
N’est-ce pas singulier que <strong>la</strong> France<br />
soit dans le commerce du lin exportatrice<br />
de matières premières ?<br />
Oui, mais ce n’est pas un cas unique. La France<br />
exporte aussi vers <strong>la</strong> Chine du bois de <strong>la</strong> forêt<br />
bretonne. Ce qui est fou, c’est <strong>la</strong> masse de produits<br />
transportés d’un bout à l’autre de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète.<br />
Le lin travaillé en Chine revient en France<br />
sous forme de chemises ou de rouleaux de<br />
tissu. Il va aussi au Mexique et en Turquie dans<br />
les usines de confection, mais le film ne pouvait<br />
pas montrer toute cette circu<strong>la</strong>tion. Je<br />
vou<strong>la</strong>is rester sur les agriculteurs français et<br />
les ouvriers chinois, mais on sent constamment<br />
cet arrière-p<strong>la</strong>n mondial.<br />
Votre film montre avec un certain humour<br />
tous les moyens mis en œuvre<br />
pour communiquer malgré les obstacles.<br />
C’est d’abord autour du lin qu’ils communiquent,<br />
de cette matière qu’ils touchent, qu’ils évaluent.<br />
Les Normands au début ont pensé que<br />
les Chinois s’y connaissaient mieux en coton<br />
qu’en lin. Ils pensaient pouvoir leur vendre<br />
facilement n’importe quoi. Mais très vite les<br />
Chinois ont appris à reconnaître <strong>la</strong> qualité. Au<br />
toucher, on mesure <strong>la</strong> solidité, <strong>la</strong> finesse du lin.<br />
Mais <strong>la</strong> qualité se voit aussi à l’œil. Dans le film,<br />
on voit sans cesse Français et Chinois occupés<br />
à toucher le lin qui passe de main en main.<br />
Dans les échanges, il est aussi beaucoup<br />
question d’argent.<br />
Au début, je me suis dit que les producteurs<br />
Normands al<strong>la</strong>ient se faire dévorer par les<br />
Chinois, qu’ils n’étaient pas du tout de taille<br />
pour imposer leurs prix. En fait, ils se débrouillent<br />
assez bien parce que <strong>la</strong> plupart se sont regroupés<br />
en coopératives de teil<strong>la</strong>ge 1. Celle où j’ai<br />
tourné regroupe six cents agriculteurs. Ces<br />
agriculteurs pratiquent tous une forme de<br />
polyculture ; les exploitations ne reposent donc<br />
pas entièrement sur le commerce du lin. Il y a<br />
de très bonnes années et de moins bonnes.<br />
Quand j’ai tourné, le cours était à 1,50€ le kilo ;<br />
en ce moment, il est à 2,50€ car <strong>la</strong> récolte<br />
2011 a été faible. Comme les Chinois achètent<br />
90% de <strong>la</strong> production (et les Italiens les 10<br />
restants), ils seraient en position d’imposer<br />
leurs prix. Dans les négociations que j’ai filmées,<br />
les Normands s’en sortent assez bien,<br />
mais ils sont conscients qu’il faut développer<br />
d’autres débouchés pour le lin. Les recherches<br />
portent aujourd’hui sur des matériaux composites<br />
pour fabriquer des coques de bateau,<br />
des carrosseries de voiture ou des iso<strong>la</strong>nts.<br />
Leur autre crainte est que les Chinois achètent<br />
les usines de teil<strong>la</strong>ge. Les ouvriers qui y<br />
travaillent sont nettement plus âgés que les<br />
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