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histoires de cinéma<br />
adachi = image(s)<br />
Deux films sur le cinéaste japonais Masao Adachi se sont étrangement croisés dans les festivals<br />
en 2011 : Il se peut que <strong>la</strong> beauté ait renforcé notre résolution de Philippe Grandrieux<br />
et L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi, et 27 années sans images<br />
d’Eric Baude<strong>la</strong>ire. En accompagnement de ces deux films singuliers, chacun à leur manière,<br />
Les Maisons de feu d’Antoine Barraud et Japon, les années rouges de Michaël Prazan viennent<br />
éc<strong>la</strong>irer l’engagement de cinéastes aux côtés de l’Armée rouge japonaise et cette part<br />
de l’histoire récente du Japon. Analyse de Mathieu Capel.<br />
C’est à Francfort qu’il m’a été donné de voir<br />
pour <strong>la</strong> première fois un film de Masao Adachi<br />
– Terrorist, son dernier film en date. C’était au<br />
printemps 2007, lors du festival Nippon<br />
Connection – le festival européen le plus au<br />
fait de <strong>la</strong> création cinématographique japonaise<br />
contemporaine. Je me souviens encore de<br />
cette salle inconfortable, salle de cours d’un<br />
campus étudiant transformée pour trois jours<br />
en salle de cinéma. Non seulement le nom<br />
d’Adachi m’était alors connu, mais il était même<br />
recouvert d’un léger vernis de mythologie : au<br />
cours de mes recherches sur le cinéma japonais,<br />
j’avais pu mettre <strong>la</strong> main sur l’impressionnant<br />
volume de ses entretiens avec Gô Hirasawa,<br />
Eiga/Kakumei (Cinéma/Révolution) 1, ou l’histoire<br />
du Japon d’après-guerre racontée par un<br />
cinéaste insaisissable, surréaliste et marxiste,<br />
héraut du cinéma expérimental au sein du<br />
mythique groupe VAN, compagnon d’armes et<br />
de caméra de l’Armée rouge japonaise (ARJ) –<br />
une histoire de l’underground japonais et ses<br />
pratiques alternatives, croisée avec celles des<br />
cinémas pink (érotique) et militant. Toutefois,<br />
impossible encore à l’époque de voir ses films,<br />
sinon ceux qu’il avait écrits aux côtés de Kôji<br />
Wakamatsu et quelques autres.<br />
De fait, le souvenir que je garde de cette<br />
séance tient moins au film lui-même qu’à une<br />
courte vidéo diffusée en ouverture. Quand les<br />
couloirs de l’université de Francfort permettaient<br />
de croiser une bonne dizaine de jeunes<br />
cinéastes japonais, Adachi y par<strong>la</strong>it face caméra<br />
pour justifier son absence. Son implication<br />
passée dans le combat pro-palestinien aux<br />
côtés de l’ARJ et du Front popu<strong>la</strong>ire de libération<br />
de <strong>la</strong> Palestine (FPLP) lui va<strong>la</strong>it – lui vaut encore<br />
– l’interdiction de quitter le territoire japonais.<br />
Dans sa vidéo toutefois, au comble de mon<br />
indignation, il incriminait le gouvernement<br />
français pour son refus obstiné de lui <strong>la</strong>isser<br />
passer les frontières de l’Union européenne.<br />
De fait, <strong>la</strong> première vertu des films concomitants<br />
de Philippe Grandrieux et d’Eric Baude<strong>la</strong>ire<br />
réside ainsi dans leur façon de réveiller ce<br />
souvenir et cette indignation trop vite enfouis.<br />
Ou plutôt d’apporter les éléments nécessaires<br />
à <strong>la</strong> définition du ma<strong>la</strong>ise alors ressenti. Adachi<br />
est en Europe condamné à n’être qu’une image :<br />
il n’y sera jamais plus, sauf extraordinaire, non<br />
seulement présent, mais encore présent à son<br />
image – <strong>la</strong> violence de cette interdiction, qui le<br />
condamne à ne jamais pouvoir justement<br />
ba<strong>la</strong>yer de sa présence l’image qui le re-présente.<br />
Mais de fait, Adachi n’a-t-il pas de luimême<br />
investi depuis longtemps cette p<strong>la</strong>ce-là,<br />
où le réel et ses images ne sauraient justifier<br />
de leur co-présence sans lever des problèmes<br />
fondamentaux ?<br />
équations<br />
“Après avoir déployé leur formation pour attaquer,<br />
mitrail<strong>la</strong>nt au hasard à <strong>la</strong> Ka<strong>la</strong>chnikov et<br />
jetant des grenades, mes compagnons se<br />
remirent à ramper. Ils encerclèrent un point<br />
arboré et, sur un ton calme et solennel, le<br />
capitaine adressa un discours en direction de<br />
ces fourrés. De nouveau, des tirs tous azimuts<br />
à <strong>la</strong> Ka<strong>la</strong>chnikov. Les six guérilleros s’é<strong>la</strong>ncèrent.<br />
Ils capturèrent les camarades déguisés en<br />
soldats israéliens blessés et commencèrent à<br />
les désarmer. Je serrai ma caméra, un peu<br />
stupéfait. Tu vois, ça c’est une belle opération,<br />
me dirent-ils fièrement, à commencer par le<br />
capitaine : Nous, les soldats du Front Popu<strong>la</strong>ire<br />
de Libération de <strong>la</strong> Palestine, nous exposons<br />
nos théories à l’ennemi, quel qu’il soit, pour<br />
tenter de le convaincre. Si malgré tout il souhaite<br />
combattre, nous le capturons ou le tuons.<br />
Ils m’expliquèrent ainsi comment cette simu<strong>la</strong>tion<br />
de combat s’était déroulée avec précision,<br />
dans les règles de l’art. Je savais très bien qu’il<br />
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