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paysages<br />
Le style de Jia Zhang-ke est remarquable<br />
aussi par sa saisie de l’espace. A l’arrière-p<strong>la</strong>n<br />
de Xiao Wu artisan pickpocket, c’est toute une<br />
ville qui est en train de s’effacer : les affiches<br />
décollées, déchirées, devenues illisibles, sont<br />
autant de signes d’une mort annoncée. Dans<br />
Still Life (2006), il entre<strong>la</strong>ce des histoires simples<br />
dans un site naturel grandiose, bouleversé à<br />
jamais par l’homme : dans une ville qui sera<br />
submergée par le barrage des Trois-Gorges<br />
quelques mois plus tard, en parallèle, un mineur<br />
cherche sa femme qu’il n’a pas vue depuis des<br />
années et une femme cherche son mari pour<br />
en divorcer. L’histoire intime est un prétexte<br />
pour saisir un espace collectif sur le point de<br />
disparaître. Jia Zhang-ke donne à voir <strong>la</strong> disparition<br />
tragique de ce paysage jusque-là<br />
considéré comme éternel, à l’origine de tout<br />
un art pictural, comme l’effacement même de<br />
l’art, du temps et de <strong>la</strong> mémoire.<br />
Son projet se précise encore avec le diptyque<br />
24 City (2008) et I wish I knew (2010) : le premier<br />
montre des témoignages filmés dans une<br />
cité ouvrière en train d’être détruite au profit<br />
d’un complexe immobilier de luxe ; le second<br />
propose, sur le même principe, un portrait de<br />
Shanghai des années 1930 à nos jours. Les<br />
interviews alternent fiction et documentaire<br />
sans distinction apparente. Cette attention au<br />
lieu en tant que révé<strong>la</strong>teur d’une Histoire qui le<br />
dépasse est générale dans le cinéma chinois.<br />
Le gigantesque complexe industriel de Shenyang<br />
– son agonie, et le corps de l’homme<br />
assujetti à cette agonie – est le sujet du documentaire<br />
majeur de Wang Bing, A l’Ouest des<br />
La Chine et le Réel<br />
rails (2003). Le film est partagé en trois chapitres<br />
: Rouille entre dans les usines, Vestiges<br />
s’aventure dans les ruelles de <strong>la</strong> cité ouvrière,<br />
et Rails suit le chemin de fer en voie d’abandon.<br />
En suivant ce trajet, le cinéaste filme des<br />
moments de vie – <strong>la</strong> douche des ouvriers, <strong>la</strong><br />
remise des sa<strong>la</strong>ires – comme autant de sommets<br />
visibles d’un iceberg qui s’effondre. Le<br />
paysage industriel est donc le récit même,<br />
fondement d’une narration qui a quelque<br />
chose du rouleau peint, à <strong>la</strong> fois par sa durée<br />
(9 heures) et son fonctionnement par saynètes<br />
saisies en chemin.<br />
C’est là peut-être que le cinéma contemporain<br />
chinois rejoint <strong>la</strong> tradition d’un King Hu. Comme<br />
le fait remarquer Peggy Chao, ses longs panoramiques<br />
accompagnent les personnages<br />
dans les forêts, dérou<strong>la</strong>nt également le paysage<br />
comme un rouleau peint. La grande attention<br />
de King Hu aux décors n’est pas anodine : un<br />
lieu perdu, détruit ; une forêt ou une ruine pour<br />
s’abriter; une auberge d’exilés. Dans ces espaces<br />
hostiles ou refuges, les personnages n’ont de<br />
cesse de changer les lois de <strong>la</strong> gravité, s’envo<strong>la</strong>nt<br />
pour se battre, défiant par leur vitesse <strong>la</strong> vision,<br />
invitant le spectateur à découvrir <strong>la</strong> pérennité<br />
nouvelle de ces paysages. Comme dans Still<br />
Life, ceux-ci s’inscrivent dans <strong>la</strong> tradition d’une<br />
Chine ancestrale, d’un art qui, au temps de<br />
King Hu n’est plus autorisé – <strong>la</strong> peinture se<br />
doit d’être réaliste, compréhensible par tous.<br />
En s’inspirant de tableaux de montagne et<br />
d’eau, depuis Hong-Kong et Taiwan, King Hu<br />
p<strong>la</strong>ce son cinéma sous le signe d’une esthétique<br />
interdite par <strong>la</strong> République Popu<strong>la</strong>ire.<br />
C’est comme si, à travers l’action du wu xia<br />
pian, il vou<strong>la</strong>it garder une trace, une mémoire<br />
vive de ces paysages. Ce geste le rend étrangement<br />
contemporain d’un Wang Bing ou d’un<br />
Jia Zhang-ke, qui cherchent à rendre visibles<br />
dans le trop-plein du présent assassin les<br />
ruines d’une histoire en marche. M.D.<br />
1 L’acte de naissance de <strong>la</strong> 5ème génération<br />
est <strong>la</strong> projection au festival de Hong-Kong en 1985<br />
de Terre jaune de Chen Kaige. Ce succès retentissant<br />
est suivi par La Loi du terrain de chasse de Tian<br />
Zhuang-zhuang (1985) et Le Sorgho rouge de Zhang<br />
Yimou (1987). Ces films sont ancrés dans le monde<br />
rural, et participent d’un retour aux racines chinoises,<br />
notamment en magnifiant une tradition picturale<br />
et musicale orientale.<br />
cnc.fr/idc<br />
Le Cinéma chinois d’hier et aujourd’hui,<br />
d’Hubert Niogret, 2007, 59'.<br />
30 images de <strong>la</strong> culture