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Troisième moment : un p<strong>la</strong>n de coupe, le seul<br />

de <strong>la</strong> séquence, dans lequel le cadre s’est<br />

é<strong>la</strong>rgi. On voit deux autres lits, devant celui où<br />

sont Gentis et B<strong>la</strong>nche. Les voix, apparemment<br />

synchrones, sont en fait montées off sur l’image<br />

silencieuse, tandis qu’on aperçoit, sur le bord<br />

droit du cadre, au niveau des personnages, le<br />

micro fixé au bout de <strong>la</strong> perche. Ce p<strong>la</strong>n dissocie<br />

légèrement le son de l’image. Mais on peut<br />

penser qu’il désigne aussi, en même temps que<br />

le micro, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce réelle de <strong>la</strong> caméra depuis<br />

<strong>la</strong>quelle, en zoom, est réalisé le p<strong>la</strong>n serré sur<br />

B<strong>la</strong>nche et Gentis. On entend Gentis demander<br />

à B<strong>la</strong>nche ce que veulent dire les mots incompréhensibles<br />

qu’elle vient de prononcer ; elle<br />

répond : “Des choses qui sont vraies.”<br />

Enfin, le p<strong>la</strong>n fixe s’interrompt, <strong>la</strong>issant le dialogue<br />

se poursuivre sur une vue de <strong>la</strong> cour, à<br />

travers une fenêtre à barreaux, où sont d’autres<br />

ma<strong>la</strong>des. De l’intérieur, nous les voyons<br />

enfermés. Tandis que B<strong>la</strong>nche est à nouveau<br />

submergée, apparaissent les visages d’autres<br />

ma<strong>la</strong>des.<br />

— “Je m’emporte sur l’aile des vents. […] Je<br />

suis sur les limites.<br />

— N’ayez pas peur […] On va vous aider à tenir<br />

bon.<br />

— Bon, ça va alors.”<br />

On pourrait penser que ce<strong>la</strong> finit bien, si<br />

n’étaient les corps tourmentés des fous à<br />

l’image et les paroles incompréhensibles non<br />

synchrones de l’un d’eux qui se superposent<br />

au dialogue et s’amplifient quand il s’achève.<br />

Dans cette séquence presque toute de mots,<br />

<strong>la</strong> parole n’explique rien, ne résout rien. On s’y<br />

tient comme dans le seul espace possible de<br />

confusion et d’éc<strong>la</strong>ircie ; il n’y est pas seulement<br />

question de ma<strong>la</strong>die et de guérison. Ainsi,<br />

peut-on comprendre qu’elle n’ait ni début ni<br />

fin. La caméra montre le travail quotidien de<br />

l’institution au contact de <strong>la</strong> folie qui se répète.<br />

Elle pose un cadre où des événements, aussi<br />

infimes soient-ils, peuvent avoir lieu entre les<br />

personnages à l’image, et pour les cinéastes<br />

face à eux. Le cinéma direct inauguré ici par<br />

l’équipe de Ruspoli se situe sur le même p<strong>la</strong>n<br />

d’expérience que <strong>la</strong> psychothérapie institutionnelle<br />

qui s’invente alors à Saint-Alban. D.B.<br />

mary barnes/<br />

delphine seyrig<br />

Notes à propos du film Couleurs Folie (1986) d’Abraham Ségal, par Nicole Fernández Ferrer.<br />

Couleurs Folie a été conçu au départ comme un<br />

prologue au troisième film de <strong>la</strong> série Hors les<br />

murs (1984-1986). Cette série documentaire<br />

proposait trois manières de vivre avec <strong>la</strong> folie,<br />

trois pratiques alternatives qui se situent à <strong>la</strong><br />

lisière du champ de <strong>la</strong> psychiatrie en France 1.<br />

Le réalisateur Abraham Ségal, qui a notamment<br />

réalisé Enquête sur Abraham (1996) et Le<br />

Mystère Paul (2000), qualifie Couleurs Folie<br />

de film-rencontre. En effet, à son initiative,<br />

Mary Barnes et Delphine Seyrig se rencontrent<br />

à Paris pour <strong>la</strong> première fois en 1986. En 1975,<br />

Delphine Seyrig tournait dans le film Aloïse de<br />

Liliane de Kermadec et découvrait à cette<br />

occasion l’ouvrage Mary Barnes, Two Accounts<br />

of a Journey Through Madness (Mary Barnes,<br />

un voyage à travers <strong>la</strong> folie, Ed. du Seuil, 1971)<br />

coécrit avec Joseph Berke. Dans le film, Delphine<br />

Seyrig jouait le rôle d’Aloïse Corbaz, une jeune<br />

femme suisse internée dans un asile d’aliénés où<br />

elle ne cessa de peindre jusqu’à sa mort à 78 ans.<br />

Couleurs Folie, tourné dans l’appartement de<br />

Delphine Seyrig à Paris, entre dans l’intimité<br />

de <strong>la</strong> rencontre des deux femmes. Cadrées au<br />

plus près, tout en <strong>la</strong>issant le champ libre à <strong>la</strong><br />

vie de <strong>la</strong> maison – un chat passe – elles confrontent<br />

leurs points de vue autour de “l’aventure<br />

de <strong>la</strong> folie”. Mary Barnes avait pu voir le film<br />

Aloïse <strong>la</strong> veille du tournage. Delphine Seyrig<br />

parle de son expérience d’actrice et Mary Barnes<br />

raconte des épisodes de sa vie.<br />

Des photos du tournage d’Aloïse et des peintures<br />

d’Aloïse Corbaz défilent. Delphine Seyrig<br />

évoque en voix off le parcours de Mary Barnes<br />

à Kingsley Hall. On découvre plusieurs de ses<br />

peintures à l’écran. Elle révèle son attirance<br />

pour le monde intérieur tout en s’enthousiasmant<br />

pour les premiers pas de l’homme sur <strong>la</strong><br />

lune et l’exploration spatiale.<br />

L’échange entre les deux femmes se poursuit<br />

autour du rapport entre création et folie.<br />

Mary Barnes souligne le fait qu’Aloïse a trouvé<br />

une voie d’expression dans <strong>la</strong> peinture et les<br />

couleurs dont elle revendique elle-même l’importance<br />

: “Le rouge c’est beau vous savez<br />

pour les schizophrènes.” Delphine Seyrig a fait<br />

le choix de ne pas jouer <strong>la</strong> folie, elle revendique<br />

<strong>la</strong> recherche en soi, dans son enfance, et insiste<br />

sur l’importance d’évacuer l’expression “pas<br />

normal”. Mary Barnes voit en Aloïse psychotique<br />

une femme qui craque comme elle-même :<br />

“C’est sorti de moi comme un volcan.”<br />

Puis, accroupie au sol, elle prend les tubes de<br />

peinture, les presse, en fait sortir des couleurs<br />

vives, travaille directement avec ses mains, ses<br />

doigts, sur une toile. La caméra accompagne<br />

ses gestes. On perçoit l’amour pour <strong>la</strong> matière<br />

et le contact avec <strong>la</strong> consistance de <strong>la</strong> peinture.<br />

Delphine Seyrig regarde, contemple cette frénésie<br />

créative, et avoue son trouble devant <strong>la</strong><br />

“vraie” Mary Barnes, elle qui fut <strong>la</strong> “fausse” Aloïse.<br />

Couleurs Folie faisait partie de <strong>la</strong> programmation<br />

des rencontres Films et Folies créées en<br />

1986 par Delphine Seyrig et Abraham Ségal, le<br />

collectif Traverse et le Centre audiovisuel Simone<br />

de Beauvoir. Riche programmation de 65 films,<br />

débats et tables rondes dans plus de dix-huit<br />

villes en Ile-de-France, et une vingtaine en<br />

région. Les années 1970-80 sont une période<br />

d’effervescence autour des questions de <strong>la</strong><br />

psychiatrie asi<strong>la</strong>ire, des expériences italiennes<br />

de Franco Basaglia, ang<strong>la</strong>ises de David Cooper,<br />

Ronald Laing et Joseph Berke, et des écrits de<br />

Félix Guattari.<br />

“A l’origine du projet des rencontres Films et<br />

Folies se trouvent deux associations : le Centre<br />

audiovisuel Simone de Beauvoir où des femmes<br />

A voir<br />

centre-simone-de-beauvoir.com<br />

cnc.fr/idc :<br />

Delphine Seyrig, portrait d’une comète,<br />

de Jacqueline Veuve, 2000, 52' ;<br />

Sois belle et tais-toi, de Delphine Seyrig,<br />

1976, 111'.<br />

D’Abraham Ségal : Van Gogh, <strong>la</strong> revanche<br />

ambiguë, 1989, 57' ;<br />

Toutes les couleurs – Gérard Fromanger,<br />

1990, 53' ;<br />

Enquête sur Abraham, 1996, 102' ;<br />

Enquête sur Paul de Tarse, 1999, 2 x 52'.<br />

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