25.06.2013 Views

télécharger la revue - CNC

télécharger la revue - CNC

télécharger la revue - CNC

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

par le contraste entre l’impression de bonheur<br />

transmise par les films de famille, et les souffrances<br />

ou les désirs confessés par les personnages.<br />

Les grands discours civilisateurs,<br />

les éloges de <strong>la</strong> compétition et du progrès,<br />

dont l’emblème dans le film sont l’abattage<br />

des arbres, leur découpage en rondins précipités<br />

dans des torrents, puis débités en p<strong>la</strong>nches<br />

prêtes pour l’édification du Nouveau Monde, ces<br />

discours qui justifient toutes les conquêtes,<br />

de celle de l’Ouest à celle de <strong>la</strong> lune, ne trouvent<br />

pas seulement leur contradiction dans les<br />

rires ou les <strong>la</strong>mentations de l’Indien, mais<br />

dans les bizarreries ma<strong>la</strong>dives qui se trament<br />

à l’intérieur de chaque foyer américain.<br />

Les enfants sont nombreux dans Poussières<br />

d’Amérique et il est au moins une histoire de<br />

meurtre d’enfants, par un père qui ne peut<br />

plus subvenir à leurs besoins. Dans une société<br />

qui leur réserve une p<strong>la</strong>ce privilégiée, les enfants<br />

sont l’objet d’un mé<strong>la</strong>nge ambigu d’espoir et<br />

d’envie. Ils sont le pivot de cet idéal qui se<br />

révèle ici sous un jour inquiétant.<br />

Dans Disney<strong>la</strong>nd mon vieux pays natal, Arnaud<br />

des Pallières comparait Disney<strong>la</strong>nd au joueur<br />

de flûte de Hamelin qui fait disparaître tous<br />

les enfants de <strong>la</strong> ville sous un rocher. On ne sait<br />

pas si les enfants sont morts ou s’ils mènent une<br />

vie heureuse dans un autre monde. Cette ambiguïté<br />

du “rêve américain” se retrouve encore dans<br />

Diane Wellington. Lorsque Diane disparaît, les<br />

autres filles de sa c<strong>la</strong>sse plutôt que de s’inquiéter<br />

de son absence se mettent à rêver de ce dont<br />

rêve toute jeune fille de province : elles imaginent<br />

que Diane s’est enfuie avec un homme ou qu’elle<br />

est devenue actrice. Le rêve l’emporte sur <strong>la</strong><br />

réalité, qui finira par se révéler plus terrible,<br />

plus étroite que toute fiction, provoquant <strong>la</strong><br />

longue fugue en train de <strong>la</strong> fin du film, qui est<br />

comme un cri qui monte à travers les paysages<br />

pour éc<strong>la</strong>ter sur le rivage de l’océan.<br />

récits contre fiction<br />

Mais si le rêve, <strong>la</strong> fiction, sont complices de ces<br />

crimes, <strong>la</strong> désillusion n’est-elle pas salutaire ?<br />

Pour chacun de ses films, Arnaud des Pallières<br />

a cherché à inventer des formes de récit qui, tout<br />

en faisant appel aux ressources du cinéma,<br />

empruntent <strong>la</strong>rgement à <strong>la</strong> littérature. Le recours<br />

à <strong>la</strong> voix off comme instance narrative et <strong>la</strong> composition<br />

de récits à partir de citations d’œuvres<br />

littéraires lui sont familiers. Mais plus précisément<br />

qu’à <strong>la</strong> littérature, c’est à “l’art du conteur”<br />

que recourent les films de des Pallières, un art<br />

qui implique à <strong>la</strong> fois l’oralité et une forme particulière<br />

de récit. Dans un essai intitulé Le<br />

Narrateur, Walter Benjamin en a énoncé les<br />

traits distinctifs : entre autres, <strong>la</strong> transmission<br />

d’une expérience, <strong>la</strong> concision et le caractère<br />

énigmatique des récits qui restent ouverts à<br />

l’interprétation. Le conte de fées, “le premier<br />

conseiller de l’enfance”, n’est qu’une des facettes<br />

de cet art, qui invite le petit auditeur à trouver<br />

son chemin dans <strong>la</strong> forêt de l’existence.<br />

Dans Disney<strong>la</strong>nd mon vieux pays natal, Arnaud<br />

des Pallières avait déjà construit une séquence<br />

autour d’un de ces récits dont Walter Benjamin<br />

s’est fait le narrateur : Le Mouchoir, extrait de<br />

son recueil de nouvelles, Rastelli raconte… Si<br />

certaines de ces caractéristiques du conte se<br />

retrouvent dans les récits de Poussières d’Amérique<br />

et de Diane Wellington, <strong>la</strong> valeur initiatique<br />

du conte de fées semble <strong>la</strong>isser entièrement <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ce à une sombre perversité. Ces récits sont<br />

des “contes cruels”, trop ancrés dans <strong>la</strong> banalité<br />

du quotidien pour accéder à <strong>la</strong> dimension de tragédies.<br />

Plutôt que d’acheminer les personnages<br />

vers <strong>la</strong> maturité, ils les confrontent à de terribles<br />

impasses. Mais peut-être est-ce <strong>la</strong> nature des<br />

contes modernes, ceux d’un monde déserté par<br />

les fées, et les dangers qu’ils exposent ne sont<br />

pas moins riches d’enseignements.<br />

D’un point de vue cinématographique, l’intrusion<br />

de cette forme de narration dans le montage<br />

du film donne libre cours à <strong>la</strong> puissance métaphorique<br />

de <strong>la</strong> parole, à <strong>la</strong> faculté de <strong>la</strong> voix de<br />

projeter un récit parmi des images qui ne le<br />

représentent pas. Avec <strong>la</strong> seule réserve que <strong>la</strong><br />

parole est ici donnée à lire et non à entendre.<br />

Diane Wellington est construit à partir d’images<br />

d’archives des années 1930-1940 (peut-être<br />

un peu plus anciennes pour certaines), tournées<br />

essentiellement dans les rues d’une petite<br />

ville des Etats-Unis. L’action se déroule dans le<br />

Dakota du Sud, dans un environnement rural.<br />

Les hivers y sont rudes. Si l’on ne peut s’empêcher<br />

de penser aux Raisins de <strong>la</strong> colère de John Ford,<br />

ces images anonymes évoquent plus directement<br />

les photographies prises par Walker Evans<br />

ou Ben Shahn dans le cadre de <strong>la</strong> FSA (Farm<br />

Security Administration), organisation constituée<br />

par Roosevelt pour remédier aux désastres<br />

de <strong>la</strong> Grande Dépression. Loin de <strong>la</strong> plénitude<br />

et de <strong>la</strong> lisibilité des images d’Hollywood, ces<br />

A voir<br />

cnc.fr/idc :<br />

Portrait incomplet de Gertrude Stein<br />

(coll. Un Siècle d’écrivains),<br />

d’Arnaud des Pallières, 1999, 46'.<br />

sylvainmaestraggi.com<br />

Diane Wellington<br />

2010, 16', couleur, fiction<br />

réalisation : Arnaud des Pallières<br />

production : Les Films Hatari, Arte France,<br />

Ciné Cinéma, Le Fresnoy/Studio national<br />

des arts contemporains<br />

participation : <strong>CNC</strong>, ministère de <strong>la</strong> Culture<br />

et de <strong>la</strong> Communication (Cnap)<br />

A travers l’adaptation d’un court récit soumis<br />

à Paul Auster par Nancy Peavy, South Dakota,<br />

c’est à une ode au cinéma muet qu’Arnaud<br />

des Pallières semble ici nous convier.<br />

Montage d’archives comme sorties<br />

de l’Amérique de Roosevelt, un piano bientôt<br />

remp<strong>la</strong>cé par le bourdon d’une musique<br />

électronique, et, chargés de dérouler l’histoire<br />

de Diane Wellington, des cartons aussi<br />

réguliers que concis.<br />

Diane Wellington semble d’abord user<br />

d’une méthode désormais convenue,<br />

fondée sur un usage disjonctif du montage,<br />

entre une narration écrite (cartons),<br />

des images comme illustratives, sans lien<br />

direct avec ce que le film paraît vouloir<br />

nous raconter, et les enjolivures d’un piano.<br />

La permanence de leur éc<strong>la</strong>tement ouvre<br />

entre eux une béance où s’inscrivent,<br />

par imaginaire, les personnages invisibles<br />

de cette histoire. L’habileté du film<br />

de des Pallières consiste néanmoins<br />

à démultiplier cette béance, à surmonter<br />

cette absence figurative d’une absence<br />

seconde, celle de Diane Wellington, disparue<br />

un beau jour sans <strong>la</strong>isser d’adresse. Mieux,<br />

à décrire, par le biais de ce redoublement,<br />

<strong>la</strong> mutation qualitative de cette absence,<br />

quand on apprend que cette “désertion” cache<br />

une histoire sordide. De là, sans doute,<br />

que les portraits d’archives fassent p<strong>la</strong>ce<br />

bientôt à des routes qui défilent sans fin :<br />

comme si l’indifférence se changeait<br />

en l’affirmation continuée, effarée,<br />

d’une douleur. M.C.<br />

autour du monde 59

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!