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Le personnage du guide spirituel qui rend<br />

visite à votre tante semble soupçonné<br />

de profiter de sa fonction pour être parmi<br />

les femmes et récolter de l’argent.<br />

O. S. : C’est difficile de répondre. Ce sont des<br />

femmes qui vivent seules, elles ont besoin de<br />

lui. Il vient les soutenir spirituellement et psychologiquement,<br />

leur donner des conseils.<br />

Peut-être en profite-t-il lui aussi pour fuir sa<br />

propre réalité, ne pas rentrer chez lui.<br />

C. H. : C’est aussi le rapport à l’argent qui s’illustre<br />

dans ces scènes, le rapport de don et de<br />

contre-don. L’argent doit circuler. On est sans<br />

cesse en train de donner de l’argent aux autres<br />

et de réc<strong>la</strong>mer l’argent que l’on a donné, ou le<br />

retour sur un service que l’on a rendu.<br />

O. S. : Dans l’évolution de <strong>la</strong> société, le don et le<br />

contre-don se sont transformés. Autrefois, on<br />

échangeait des biens matériels, mais aujourd’hui<br />

c’est de l’argent, qui est plus difficile à trouver<br />

qu’un quartier de viande ou un verre de <strong>la</strong>it.<br />

J’ai été surpris de voir que les rituels<br />

se pratiquent avec des matériaux pauvres :<br />

vêtements, cuillères, photos d’identité <strong>la</strong>issés<br />

dans une grotte, sacs p<strong>la</strong>stique et papier<br />

journal pour emballer les pierres.<br />

O. S. : Dans <strong>la</strong> religion de mes grands-parents,<br />

tout est très démonstratif : les prières, les<br />

sacrifices, <strong>la</strong>isser sa photo, un vêtement ou un<br />

bout de <strong>la</strong>ine, de ficelle ; ce n’est pas grave si on<br />

n’a pas beaucoup, ce<strong>la</strong> participe d’un mouvement<br />

ostentatoire, ce n’est pas lié à <strong>la</strong> richesse.<br />

C. H. : Les pierres sacrées chez ta grand-mère<br />

sont dans de vieux sacs p<strong>la</strong>stique car ce sont<br />

des rituels qui se font dans le privé ; ce n’est<br />

pas comme à l’église où le rituel est public et<br />

où les objets sont là pour <strong>la</strong> représentation.<br />

Là, les pierres, c’est quelque chose de secret<br />

qu’il faut mettre en hauteur et cacher, tu les<br />

fais voir aux gens de ta famille, mais toujours<br />

de manière secrète. C’est un rituel intime, on<br />

n’attend pas que le guide soit là pour l’accomplir.<br />

D’où le matériau pauvre, ce sont des rituels<br />

que l’on peut faire au quotidien.<br />

O. S. : Les Kurdes ont tout le temps été persécutés,<br />

ils n’ont jamais eu l’occasion de représenter<br />

quoi que ce soit ou d’édifier ne serait-ce<br />

qu’un temple. Maintenant ça commence à se<br />

moderniser, ils ne font plus des bâtiments en<br />

pisé mais en brique ; on commence à construire<br />

des structures en béton pour les lieux saints.<br />

C. H. : Ils ont été nomades, ces pierres ce sont<br />

des morceaux de lieux saints qu’on emmène<br />

avec soi.<br />

Toujours dans le registre minéral, il y a<br />

une séquence où un homme prend un bain<br />

de sable. Les Kurdes ont-ils un goût particulier<br />

pour <strong>la</strong> terre ?<br />

O. S. : La terre est considérée comme bénéfique<br />

pour beaucoup de choses, que ce soit de<br />

l’ordre du sacré ou du profane, et notamment<br />

pour le corps. On voit souvent des gens qui<br />

s’enterrent jusqu’au cou. Ils ont toujours fait<br />

ça, surtout avec le sable des rivières. Ça fait<br />

transpirer, ça chasse tous les maux.<br />

Pour vous C<strong>la</strong>risse ne pas élucider toutes<br />

les situations, c’était important ? Avez-vous<br />

cherché à préserver une certaine étrangeté ?<br />

C. H. : Oui, il y a un côté burlesque dans certaines<br />

pratiques. Mais j’ai aussi cherché à les<br />

rapprocher de nous. Quand on entend les<br />

femmes proférer des insultes et des grossièretés,<br />

ce<strong>la</strong> casse le stéréotype de <strong>la</strong> femme<br />

voilée que l’on peut avoir en Occident.<br />

Karima et Les Protestants comportaient<br />

beaucoup d’entretiens à travers lesquels<br />

vous marquiez votre présence dans le film.<br />

Par rapport à <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue,<br />

comment s’est passé le tournage et comment<br />

avez-vous construit Kurdish Lover ?<br />

C. H. : J’ai dû exercer mon sens de l’observation.<br />

Parfois Oktay me donnait des indications. On a<br />

fait toute <strong>la</strong> traduction à notre retour, j’ai donc<br />

découvert certaines choses a posteriori. Mais<br />

au bout d’un moment j’arrivais à comprendre<br />

les situations. Ce qui m’intéresse ce sont les<br />

attitudes, les gestes, les rapports à l’environnement,<br />

<strong>la</strong> manière dont les gens se positionnent<br />

les uns par rapport aux autres. Le fait de<br />

ne pas comprendre <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, je crois aussi<br />

que ce<strong>la</strong> m’a protégée, parce qu’ils sont toujours<br />

en train de se quereller, de dire des choses sur<br />

les uns ou les autres. Si j’avais parlé <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue,<br />

j’aurais été complètement impliquée dans<br />

leurs histoires. Ce<strong>la</strong> m’a permis de garder une<br />

distance, ce qui est très difficile dans cette<br />

famille où il y a très peu d’intimité.<br />

Venir avec une femme étrangère qu’est-ce<br />

que ce<strong>la</strong> représentait pour vous, Oktay ?<br />

O. S. : Par rapport à ma grand-mère je savais<br />

que ça al<strong>la</strong>it bien se passer ; par rapport aux<br />

autres, je ne savais pas si ça serait évident. J’ai<br />

amené C<strong>la</strong>risse dans un milieu où il y a une<br />

idée de <strong>la</strong> femme qui ne correspond pas du<br />

tout à ce qu’elle vit ici. J’ai essayé de faire en<br />

sorte que ce<strong>la</strong> se passe bien, qu’elle soit<br />

acceptée comme elle est. Le guide – qui est <strong>la</strong><br />

personne qui indique l’attitude à adopter – a<br />

dit que même si c’était une fille de Jésus, elle<br />

avait sa p<strong>la</strong>ce dans notre communauté. Après,<br />

il y a des règles et des codes, des tâches dont<br />

<strong>la</strong> femme doit se charger. J’ai dû expliquer à<br />

mes cousins qu’ils pouvaient faire certaines<br />

choses eux-mêmes, ce qui a été l’occasion de<br />

leur donner mon point de vue sur <strong>la</strong> position<br />

de <strong>la</strong> femme et celle de l’homme. Ce qui était<br />

plus compliqué pour moi, c’est que mes oncles<br />

et mon père refusent de se <strong>la</strong>isser filmer. J’aurais<br />

aimé qu’ils participent. C’était assez tendu<br />

quand ils étaient là, ce sont des patriarches,<br />

des chefs de famille. Mais je pense que C<strong>la</strong>risse<br />

a une aisance par rapport à ce genre de situation,<br />

parce que, comme on le voit dans Les Protestants,<br />

elle vient d’une famille nombreuse.<br />

Propos recueillis par Sylvain Maestraggi,<br />

juillet 2012<br />

50 images de <strong>la</strong> culture

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