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que son corps lui-même a changé, qu’il a grandi.<br />
Pourtant, ce sont des scènes qui ont eu lieu en<br />
même temps.<br />
A ce sujet, vous faites un choix assez<br />
audacieux au montage. Vous inventez<br />
une fausse chronologie, en donnant<br />
l’impression que du temps a passé entre<br />
les deux re<strong>la</strong>tions, celle avec l’amie Stefania<br />
et celle avec <strong>la</strong> petite amie Barbara.<br />
Comment avez-vous fait ce choix ?<br />
En regardant les images avec mon monteur,<br />
João Nico<strong>la</strong>u, nous avons tout de suite eu cette<br />
intuition. João a d’abord eu une réaction de rejet<br />
envers les images tournées avec Barbara,<br />
comme si elles trahissaient celles avec Stefania.<br />
On a donc joué avec ce sentiment-là, et on<br />
a compris très vite que le petit bloc “Barbara”<br />
devait se trouver à <strong>la</strong> fin.<br />
C’est une structure très déceptive,<br />
d’autant plus que ce petit bloc intervient<br />
après une sorte de clôture, à un moment où<br />
l’on ne s’attend plus du tout à ce qu’une autre<br />
histoire embraye. Cet ultime segment donne<br />
l’impression d’une récapitu<strong>la</strong>tion des données<br />
du film, brutalement intensifiées : l’érotisme<br />
d’une part, qui est ici finalement consommé ;<br />
et le sentiment de perte d’autre part,<br />
qui est là aussi rendu évident par <strong>la</strong> lettre<br />
que lit Barbara.<br />
Ce sont des variations sur le même thème universel<br />
qui est celui du désir : comment il naît,<br />
comment il débouche toujours sur une forme<br />
de mé<strong>la</strong>ncolie quand il finit par trouver à s’exprimer.<br />
Giacomo était plein de désir quand il<br />
était avec Stefania, et avec Barbara, il a fait<br />
l’amour pour <strong>la</strong> première fois. Dès le lendemain,<br />
ce<strong>la</strong> lui a inspiré une forme de tristesse,<br />
de déception. Quand ils ont fait l’amour, c’était<br />
déjà <strong>la</strong> fin de leur histoire. C’est à ce momentlà<br />
qu’elle lui écrit <strong>la</strong> lettre qu’elle lit dans le<br />
film. Ils se sont quittés tout de suite après.<br />
Cette nostalgie qui accompagne toujours<br />
les moments de grâce, comme s’ils ne<br />
pouvaient aller sans <strong>la</strong> conscience aigüe<br />
de leur perte, c’est <strong>la</strong> question de l’adolescence<br />
autant que <strong>la</strong> question de l’été. C’est peut-être<br />
pour ça que les grands récits d’adolescence<br />
se passent souvent l’été. Et qu’on a pu évoquer<br />
Rohmer au sujet de L’Eté de Giacomo…<br />
Oui, c’est exactement ça : on n’arrive jamais à<br />
en profiter sans avoir le sentiment mé<strong>la</strong>ncolique<br />
que c’est sur le point de finir. L’été est par<br />
excellence <strong>la</strong> saison de <strong>la</strong> jeunesse, à <strong>la</strong> fois<br />
parce que c’est une saison très sensuelle, très<br />
physique, et parce que c’est en quelque sorte<br />
l’expression-même de l’éphémère.<br />
Propos recueillis par Jérôme Momcilovic,<br />
octobre 2012<br />
humble combattante<br />
de <strong>la</strong> liberté<br />
L’Ile de Chelo d’Odette Martinez-Maler apporte un témoignage précieux sur <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong><br />
antifranquiste qui débuta en Espagne dès 1936. A travers l’histoire de Chelo, <strong>la</strong> réalisatrice,<br />
elle-même fille de combattants de <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong> de León-Galice, rend hommage aux “vies<br />
minuscules et invisibles de ces Résistantes aux mains nues”. Pour éc<strong>la</strong>irer le contexte<br />
de ce film, Images de <strong>la</strong> culture a interrogé Evelyn Mesquida, journaliste et écrivain, auteur<br />
notamment de La Nueve 24 août 1944 - Ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris<br />
(Editions Le Cherche-Midi, 2011) ; ouvrage dont s’inspire le film documentaire La Nueve<br />
ou les Oubliés de <strong>la</strong> victoire, d’Alberto Marquardt.<br />
Comment avez-vous réagi en regardant<br />
L’Ile de Chelo ?<br />
L’histoire de cette femme, cette histoire si belle<br />
et si terrible, c’est l’histoire de l’Espagne. Ses<br />
parents ont été assassinés simplement parce<br />
qu’ils étaient républicains, parce qu’ils soutenaient<br />
cette République que le peuple espagnol<br />
s’était donnée par les élections. Chelo n’a connu<br />
<strong>la</strong> liberté qu’en arrivant en exil en France. Mais<br />
sa maison de l’Ile de Ré, pleine d’images et de<br />
chansons espagnoles, est comme une petite<br />
parcelle d’Espagne. Ces dernières années, juste<br />
avant que les témoins ne disparaissent, on a<br />
tourné beaucoup de films en Espagne. Celui-ci<br />
me paraît un des plus aboutis du point de vue<br />
du cinéma, très juste et très émouvant.<br />
Le film nous fait découvrir un pan de l’histoire<br />
peu connu, l’histoire de <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong> qui<br />
s’est prolongée pendant plus de dix ans<br />
après <strong>la</strong> chute de <strong>la</strong> République. Cette histoire<br />
est-elle mieux connue en Espagne ?<br />
Jusqu’à <strong>la</strong> fin du franquisme, c’était <strong>la</strong> chape de<br />
plomb. Franco faisait régner <strong>la</strong> terreur. Jusqu’en<br />
1944, les exécutions étaient quotidiennes, les<br />
pelotons d’exécution tuaient sans discontinuer<br />
du lundi au samedi. Beaucoup de gens en ont<br />
été témoins, beaucoup y ont participé, souvent<br />
contre leur volonté. Mais personne n’en par<strong>la</strong>it.<br />
La propagande présentait tous les opposants<br />
comme des terroristes, des assassins, des<br />
communistes, des Rouges. La mémoire de <strong>la</strong><br />
guerre, de l’exil et de guéril<strong>la</strong> a commencé à<br />
ressurgir seulement à <strong>la</strong> fin des années 1990.<br />
Ce<strong>la</strong> a d’abord été l’affaire de spécialistes,<br />
d’érudits. Mais depuis 2000, on a vu sortir des<br />
livres, des films, des émissions de télévision<br />
pour le grand public. Certains films de grande<br />
qualité, comme Les Treize Roses 1. A partir de<br />
2004, le gouvernement socialiste de Zapatero<br />
a fait beaucoup pour le rétablissement de <strong>la</strong><br />
mémoire des vaincus de <strong>la</strong> guerre civile, pour<br />
réparer cette grande douleur.<br />
Chelo s’est engagée dans <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong><br />
en Galice, près de son vil<strong>la</strong>ge.<br />
Faut-il se représenter cette guéril<strong>la</strong> comme<br />
les maquis de <strong>la</strong> Résistance en France ?<br />
Oui, c’est très comparable. Dans les zones<br />
contrôlées par Franco dès 1936, le régime de<br />
terreur est tel que des gens fuient les vil<strong>la</strong>ges<br />
et se retranchent dans <strong>la</strong> montagne avec des<br />
armes. Après 1939, pour monter des opérations<br />
contre les autorités franquistes, ils bénéficient<br />
de l’appui des paysans sans qui ils ne pourraient<br />
pas survivre. Les guérilleros se sont maintenus<br />
dans toutes les montagnes d’Espagne : en<br />
Andalousie, à Teruel, dans les monts Cantabriques…<br />
Combien de combattants y ont participé<br />
? C’est difficile à dire, mais en tout cas<br />
plusieurs milliers. Certains foyers de guéril<strong>la</strong><br />
vont tenir très longtemps, aussi longtemps<br />
qu’ils recevront de l’aide extérieure. Lorsqu’en<br />
1950-51 Staline donne l’ordre de mettre fin à<br />
<strong>la</strong> lutte armée, certains veulent encore se battre<br />
mais ils seront isolés et abandonnés.<br />
Ces guérilleros étaient-ils en majorité<br />
communistes ?<br />
Il y avait des communistes bien sûr, mais aussi<br />
des anarchistes et des républicains sans parti.<br />
La guéril<strong>la</strong> à <strong>la</strong>quelle Chelo participe est dirigée<br />
par un communiste, Quico, le père d’Odette<br />
Martinez-Maler, l’auteure du film. L’amoureux<br />
de Chelo, Arcadio, lui aussi est communiste.<br />
Mais à leurs côtés se battent des anarchistes.<br />
La plupart des anarchistes ont tenu moins<br />
longtemps dans <strong>la</strong> guéril<strong>la</strong>, certains ont été<br />
dénoncés ou tués. Après <strong>la</strong> mort de Franco,<br />
pendant <strong>la</strong> période de <strong>la</strong> transition, le parti<br />
autour du monde 69