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ouvrières chinoises qui réalisent l’étape suivante,<br />

le peignage. Le lin doit être teillé sur le<br />

lieu de <strong>la</strong> production car le lin non teillé est très<br />

inf<strong>la</strong>mmable et prendrait beaucoup plus de<br />

p<strong>la</strong>ce dans les containers. En achetant une<br />

usine de teil<strong>la</strong>ge, les Chinois auraient le contrôle<br />

de <strong>la</strong> filière encore plus en amont. L’étape<br />

ultime serait pour les Chinois de cultiver euxmêmes<br />

le lin en Normandie. Ce<strong>la</strong> fait très<br />

longtemps qu’il est cultivé en Chine, mais le<br />

climat et <strong>la</strong> terre ne permettent pas de produire<br />

de <strong>la</strong> qualité.<br />

Le contraste est très fort entre les images<br />

tournées par Wen Hai en Chine et les vôtres.<br />

J’ai tourné en extérieur, en p<strong>la</strong>ine. Les parcelles<br />

de lin, c’est très beau. Je filme des agriculteurs<br />

qui sont seuls au milieu de trois hectares dans<br />

un paysage qui s’étend à perte de vue. Wen<br />

Hai, lui, filme dans <strong>la</strong> promiscuité des usines,<br />

dans des dortoirs pour huit personnes, souvent<br />

sombres. De plus, il se met davantage dans<br />

une situation d’entretien. Mais j’ai trouvé une<br />

certaine harmonie dans ces allers-retours entre<br />

<strong>la</strong> Chine et <strong>la</strong> France grâce à <strong>la</strong> proximité qu’il<br />

a avec les gens qu’il filme. Dans les séquences<br />

que j’ai tournées, <strong>la</strong> parole s’installe généralement<br />

en situation de travail, sauf une fois<br />

lorsque j’installe une interview avec un agriculteur<br />

et une agricultrice. C’est <strong>la</strong> seule fois<br />

où je pose une question directe, d’ailleurs<br />

assez abrupte.<br />

Aviez-vous prévu dès le départ cette<br />

différence dans le traitement de <strong>la</strong> parole ?<br />

Elle tient aux conditions de travail en Chine.<br />

Les usines sont tellement bruyantes. On voit<br />

bien que les ouvriers portent des masques,<br />

qu’ils ne peuvent pas se parler pendant le travail.<br />

Les dortoirs sont des lieux plus calmes et Wen<br />

Hai a aussi jugé que <strong>la</strong> parole y serait plus<br />

libre. En fait, ce<strong>la</strong> faisait longtemps qu’il vou<strong>la</strong>it<br />

tourner dans une usine, mais il a reçu l’autorisation<br />

de tournage grâce à <strong>la</strong> coopérative française<br />

qui en a fait <strong>la</strong> demande. Nous avons présenté<br />

le projet comme un film français, un film d’entreprise<br />

en quelque sorte, dans lequel Wen Hai<br />

intervenait en qualité d’opérateur (et non de<br />

cinéaste). Grâce à quoi, il a pu circuler assez<br />

librement dans l’usine. Ainsi, il a pu suivre<br />

quelques ouvriers et recueillir une parole pas<br />

trop censurée. Même s’il demeure tout de même<br />

une part d’autocensure.<br />

Ce que le film rend très visible,<br />

c’est le rétrécissement des distances<br />

et l’accélération du temps.<br />

C’est un aspect que nous avons particulièrement<br />

travaillé au montage. Nous voulions faire sentir<br />

<strong>la</strong> simultanéité entre ce qui se passe en Normandie<br />

et ce qui se passe en Chine. Le temps<br />

en Normandie est soumis à <strong>la</strong> chronologie de<br />

<strong>la</strong> culture, de <strong>la</strong> pousse du lin jusqu’à sa récolte<br />

et sa transformation. En Chine, le temps de<br />

l’usine est beaucoup plus monotone. Toutes<br />

les journées de travail se ressemblent. On sent<br />

<strong>la</strong> répétition des gestes pendant les douze<br />

heures de travail quotidiennes. Ce qui scande<br />

l’année, ce sont seulement les fêtes, le nouvel<br />

an et le 1er mai.<br />

Pendant <strong>la</strong> réalisation du film, n’avez-vous pas<br />

vous-même fait l’épreuve de <strong>la</strong> simultanéité<br />

et du rétrécissement des distances ?<br />

Oui, nous avons fait comme les gens filmés,<br />

nous avons échangé des mails et communiqué<br />

par Skype. A une étape du projet, je pensais<br />

même que nos échanges avec Wen Hai entreraient<br />

aussi dans le film. A l’origine, j’avais<br />

imaginé que nous allions nous envoyer des<br />

séquences, constituer une sorte de cadavre<br />

exquis, échanger sous forme de lettres filmées.<br />

Mais ce projet était irréalisable. On a eu déjà<br />

assez de mal à s’envoyer les rushes, sans parler<br />

des difficultés de communication et de <strong>la</strong>n-<br />

gage. Nous avons dû renoncer à l’idée de ce<br />

film qui aurait été véritablement à deux voix.<br />

Sur vos films, vous faites toujours vous-même<br />

les images ?<br />

Depuis un certain temps oui. J’ai reçu une formation<br />

initiale au cadre. Sur certains films,<br />

j’aimerais bien avoir quelqu’un d’autre à l’image<br />

mais malheureusement, c’est souvent une question<br />

de budget. En revanche, bien que je sois<br />

monteuse de formation, je ne monte pas mes<br />

films moi-même. La col<strong>la</strong>boration avec un monteur<br />

ou une monteuse est pour moi essentielle.<br />

La possibilité de col<strong>la</strong>borer dépend-elle<br />

du sujet du film ? Certains sujets ne sont-ils<br />

pas plus personnels que d’autres ?<br />

En fait, mes films n’ont pas vraiment de sujet<br />

et, quand ils en ont un, je le tire toujours dans<br />

un sens très personnel. Au départ d’un projet,<br />

je commence à me documenter sur l’ensemble<br />

d’une problématique mais au fur et à mesure,<br />

je me concentre sur un point de plus en plus<br />

circonscrit. Dans le projet actuel sur <strong>la</strong> terre<br />

agricole, j’ai commencé par m’intéresser à un<br />

organisme qui aide les jeunes ayant des projets<br />

mais pas de terre où s’installer. Il les met<br />

en re<strong>la</strong>tion avec de vieux agriculteurs qui ne<br />

veulent pas que toute leur terre disparaisse en<br />

terrain constructible. De cette manière, les<br />

jeunes arrivent à récupérer des terres bon<br />

marché et le vieil agriculteur peut même éventuellement<br />

rester dans sa ferme. Il y a là un<br />

vrai contrat de génération ! Si je trouve les personnages<br />

de cette histoire, je ferai peut-être<br />

tout le film sur eux.<br />

Propos recueillis par Eva Ségal, avril 2012<br />

1 Etape de transformation du lin où l’on enlève<br />

l’écorce.<br />

cnc.fr/idc<br />

La République des rêves, d’Ariane Doublet<br />

et Michel Bertrou, 2005, 49'.<br />

autour du monde 53

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