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Entrée du personnel<br />

2011, 59', couleur, documentaire<br />

conception : Manue<strong>la</strong> Frésil, Rania Meziani,<br />

François Christophe, Edie Laconie<br />

réalisation : Manue<strong>la</strong> Frésil<br />

production : Ad Libitum, Mil Sabords,<br />

Télénantes, Yumi Productions<br />

participation : <strong>CNC</strong>, CR Haute-Normandie,<br />

CR Pays-de-<strong>la</strong>-Loire, CG Côtes d’Armor,<br />

ministère de <strong>la</strong> Culture et de <strong>la</strong> Communication<br />

(DGP), Procirep, Angoa<br />

Filmés sur leur lieu de travail dans <strong>la</strong> répétition<br />

des gestes quotidiens, les travailleurs<br />

des abattoirs industriels parlent de leur<br />

souffrance. A l’usure accélérée des corps<br />

due à des cadences presque insoutenables,<br />

s’ajoutent les cauchemars, le stress,<br />

<strong>la</strong> peur des accidents, l’angoisse d’un horizon<br />

bouché. Heureusement, nous sommes<br />

entre Normandie et Bretagne, et le bord<br />

de mer est là pour les moments de détente,<br />

pour <strong>la</strong> retraite tant espérée.<br />

L’image est saisissante : sous l’éc<strong>la</strong>irage<br />

au néon d’une usine qui jour et nuit transforme<br />

les bêtes vivantes en barquettes de viande,<br />

<strong>la</strong> chair des animaux rencontre brutalement<br />

celle des hommes. Largement mécanisé,<br />

le travail d’abattage et de boucherie<br />

n’en est pas moins dangereux, bruyant,<br />

traumatisant, abrutissant. En voix off<br />

s’entendent les témoignages d’ouvrières<br />

et d’ouvriers qui racontent ce que ça fait<br />

à <strong>la</strong> chair et à l’âme de passer sa vie là,<br />

à côtoyer les bêtes que l’on tue, que l’on débite<br />

à <strong>la</strong> hache ou au couteau et que l’on emballe<br />

pour les vendre – en promotion –<br />

dans les supermarchés. A l’exception<br />

des syndicalistes qui ont pris le risque d’être<br />

à l’image, les témoignages anonymes forment<br />

un chœur de toutes ces vies broyées. Posant<br />

à l’extérieur de leur usine, certains ouvriers<br />

miment dans une sorte de chorégraphie<br />

ces gestes qu’ils effectuent des milliers<br />

de fois par jour et auxquels ils refusent que<br />

leurs vies se réduisent. E. S.<br />

Ces textes se situent entre l’oral et l’écrit.<br />

On n’entend pas de bégaiement,<br />

pas l’hésitation d’une pensée qui se cherche.<br />

C’est une des premières choses qui m’avait<br />

frappée dans les paroles entendues, leur netteté,<br />

l’absence d’hésitation. Les personnes<br />

étaient <strong>la</strong> plupart du temps des syndicalistes,<br />

ou des syndiqués. Leur pensée ne se cherchait<br />

pas, elle s’était trouvée.<br />

Comment vous est venue l’idée de pousser<br />

<strong>la</strong> théâtralisation jusqu’à mettre en scène<br />

ce moment de mime collectif devant l’usine ?<br />

A partir des années 2000, entrer dans les usines<br />

est devenu beaucoup plus difficile. Il nous a<br />

fallu une année entière pour obtenir <strong>la</strong> dernière<br />

autorisation qui nous manquait. Comme on ne<br />

savait pas si on l’obtiendrait, il fal<strong>la</strong>it trouver<br />

des solutions. L’usine étant une forteresse, je<br />

vou<strong>la</strong>is aller au pied de ses murs filmer l’impossibilité<br />

d’y entrer. Comment mettre en scène<br />

Film retenu par <strong>la</strong> commission<br />

Images en bibliothèques<br />

Entrée du personnel montre des mains<br />

au travail, des mains qui font in<strong>la</strong>ssablement<br />

les gestes de dépecer, de scier, de désosser.<br />

Des gestes répétitifs qui doivent s’enchaîner<br />

au rythme toujours plus rapide exigé<br />

par les contremaîtres de ces grands abattoirs<br />

industriels. Puis, décalé, intervient le passage<br />

à <strong>la</strong> voix off. Ces récits qui disent <strong>la</strong> fatigue,<br />

le dégoût, l’usure et <strong>la</strong> souffrance au travail<br />

sont écrits, travaillés, construits et dits par<br />

des comédiens. Aux images terribles du travail<br />

à <strong>la</strong> chaîne se superposent donc les récits<br />

distanciés et souvent cauchemardesques<br />

des ouvriers. Cette distance permet<br />

à <strong>la</strong> réalisatrice de renforcer son point de vue<br />

militant, et donne au spectateur une p<strong>la</strong>ce<br />

pour <strong>la</strong> réflexion.<br />

Sylvie Astric (BPI, Paris)<br />

cette idée un peu abstraite ? En discutant avec<br />

les syndicalistes, l’idée s’est précisée de les<br />

photographier à l’extérieur, au plus près de <strong>la</strong><br />

limite autorisée, tels qu’ils sont, non dans l’usine,<br />

mais dans <strong>la</strong> vie. Certains sont venus habillés<br />

en sportifs, en syndicalistes, mais ça s’est vite<br />

épuisé. Et c’est à ce moment qu’est venue<br />

l’idée de leur faire faire le geste du travail à<br />

vide. Car le travail – même s’il n’occupe que 35<br />

heures par semaine – envahit toute leur vie.<br />

S’ils n’avaient pas été protégés par leur mandat<br />

syndical, ils auraient pris de gros risques.<br />

Par rapport à vos films précédents,<br />

votre démarche s’est-elle radicalisée ?<br />

Oui. A l’exception de mon film de fin d’études à<br />

<strong>la</strong> Fémis, Terre-Neuvas (1993), c’est le seul<br />

film où j’ai fait exactement ce que j’ai voulu.<br />

Dans tous les autres films que j’ai réalisés pour<br />

<strong>la</strong> télévision, j’ai fait des concessions. Là, je<br />

suis allée où je vou<strong>la</strong>is aller. Nous avons reçu<br />

du <strong>CNC</strong> une aide au court-métrage mais, malgré<br />

le prix au FID, aucune télévision ne l’a retenu.<br />

Vos prochains projets ?<br />

Mon cycle “paysans et travail” est achevé. Je<br />

travaille en ce moment sur <strong>la</strong> sexualité des<br />

femmes africaines immigrées, plus précisément<br />

sur <strong>la</strong> transmission de <strong>la</strong> féminité dans<br />

l’immigration. Ce sujet qui me tient depuis<br />

longtemps à cœur m’a conduit à me rapprocher<br />

d’associations de femmes africaines. Faire<br />

comprendre qu’il y a de l’amour, de <strong>la</strong> séduction,<br />

du désir dans des situations qu’on imagine<br />

très aliénées, ça me passionne. Je réfléchis à<br />

un autre sujet tout à fait différent : le tribunal<br />

administratif. Je voudrais, grâce au cinéma,<br />

rendre concrète l’idée très abstraite de <strong>la</strong> séparation<br />

des pouvoirs. Le tribunal administratif<br />

est un véritable contre-pouvoir et c’est très<br />

important les contre-pouvoirs ! Ce qui m’est<br />

devenu évident après Entrée du personnel,<br />

c’est qu’il ne faut pas renoncer à raconter les<br />

choses qu’on ne peut pas capter en direct.<br />

Qu’il s’agisse de <strong>la</strong> transmission de <strong>la</strong> féminité<br />

chez les femmes africaines ou du tribunal<br />

administratif, l’important ne se donne pas à voir.<br />

Propos recueillis par Eva Ségal, avril 2012<br />

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