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Une Vie normale<br />

Chronique d’un jeune sumo<br />

2009, 84', couleur, documentaire<br />

réalisation : Jill Coulon<br />

production : Quark Productions, Margot Films,<br />

NHK<br />

participation : P<strong>la</strong>nète<br />

Takuya Ogushi, diplôme de fin de lycée<br />

en poche, a déjà onze ans de judo derrière lui.<br />

Mais son père le destine au sumo et le fait<br />

engager dans <strong>la</strong> fameuse écurie Oshima,<br />

à Tokyo, où il va être formé. Régime<br />

alimentaire, entraînement, premières<br />

compétitions, et, surtout, vie 24 heures sur<br />

24 avec ses coéquipiers sumotori…<br />

Jill Coulon suit patiemment le jeune Takuya<br />

dans cette période d’apprentissage censée<br />

le mener à <strong>la</strong> gloire et <strong>la</strong> célébrité.<br />

Le film est traversé par <strong>la</strong> voix off du jeune<br />

homme qui, sur le mode du journal de bord<br />

ou par le biais de conversations téléphoniques<br />

avec sa sœur, livre ses sentiments :<br />

nostalgie de sa ville natale et de ses amis,<br />

peur de décevoir son père en cas d’échec,<br />

envie de progresser. Mais au fil des mois,<br />

apparaissent le découragement<br />

et une certaine incompréhension<br />

de <strong>la</strong> discipline mentale et physique<br />

qu’implique le sumo. Car, dès lors que Takuya<br />

a intégré l’écurie Oshima, son existence<br />

va désormais répondre à une mécanique<br />

aussi contraignante qu’invariable, documentée<br />

ici avec précision : entraînements longs<br />

et épuisants, repas gargantuesques<br />

qu’il ingère pour se fabriquer littéralement<br />

un corps, corvées qu’en tant que plus jeune<br />

membre de l’écurie il doit effectuer<br />

pour ses coéquipiers. Cette vie p<strong>la</strong>nifiée<br />

pour les années à venir est-elle bien celle<br />

que désirait réellement Takuya ? N’a-t-il pas<br />

simplement fait p<strong>la</strong>isir à son père ? D. T.<br />

communique son effroi à <strong>la</strong> vue des dimensions<br />

de l’un des plus imposants rikishi (littéralement<br />

“professionnel de <strong>la</strong> force”), échoué<br />

par terre, vêtu d’un simple caleçon à fleurs, et<br />

qui <strong>la</strong>isse couler au sol son énorme bedaine.<br />

L’espoir affleure lorsque Takuya, recevant son<br />

nom de sumo, caresse l’idée de détenir enfin,<br />

par ce truchement, <strong>la</strong> clef de cet univers abscons.<br />

“Kyokutaisei signifie grande étoile du<br />

matin, pour me protéger des blessures et m’aider<br />

à monter dans le c<strong>la</strong>ssement, se berce le jeune<br />

homme. Ça a plusieurs utilités. Je l’aime bien.”<br />

Mais jamais plus, depuis qu’il a quitté Asahikawa,<br />

Takuya-Kyokutaisei ne sourit. Il essaie<br />

de croire ses aînés qui lui disent <strong>la</strong> chance<br />

qu’il a d’avoir rejoint cette prestigieuse écurie.<br />

Que ce n’est pas dur. Qu’il va devenir fort.<br />

Comme lui, nous voilà happés par <strong>la</strong> magnificence<br />

des préparatifs du premier tournoi, celui<br />

des débutants. Les kimonos de soie ondoient,<br />

splendides. Les c<strong>la</strong>quements des sandalettes<br />

de bois résonnent dans les couloirs tandis que<br />

les tambours ambu<strong>la</strong>nts annoncent l’épreuve<br />

dans les ruelles du quartier. Le gyoji revêt son<br />

habit et sa coiffe pour <strong>la</strong> cérémonie qu’il présidera<br />

et le dohyo prend forme : c’est sur cette<br />

p<strong>la</strong>teforme d’argile tassée, édifiée à quelques<br />

dizaines de centimètres de hauteur et symbolisant<br />

<strong>la</strong> Terre, que s’affronteront les lutteurs.<br />

Les lumières de <strong>la</strong> salle s’allument, puis s’éteignent.<br />

Et voici Takuya, si frêle face à son<br />

adversaire – le rikishi moyen pèse 130 kilos<br />

quand <strong>la</strong> jeune recrue est encore dans <strong>la</strong><br />

moyenne des mortels. D’emblée découragé<br />

par <strong>la</strong> tournure des combats, il confie à l’issue<br />

du tournoi : “Je n’arrivais à rien et avant de<br />

comprendre, j’avais déjà perdu. Eux ont tous<br />

fait du sumo à l’école. Moi je ne comprends<br />

rien au sumo.”<br />

La liste des doléances s’allonge et les doutes<br />

taraudent Takuya : “Nous sommes tout le temps<br />

ensemble, comme en colocation ou en pension.<br />

La vie de lutteur m’emmerde. Je suis tout le<br />

temps fatigué. Au début, j’arrivais à manger,<br />

maintenant je n’y arrive même plus. Je ne<br />

grossis plus. Je n’ai plus confiance, je me dis<br />

qu’il y a de meilleures façons de vivre. Si je<br />

m’arrêtais, je pourrais faire autre chose.” Et<br />

puis : “C’est moi le plus jeune, je dois aider à <strong>la</strong><br />

cuisine et faire les corvées des aînés”, se p<strong>la</strong>int<br />

Takuya qui prépare des marmites entières, les<br />

sert à ses cothurnes, avant de desservir <strong>la</strong><br />

table. Et comme Cendrillon, de dresser les lits<br />

sous les quolibets des aînés qui le trouvent<br />

lent et distrait. “Je <strong>la</strong>ve aussi leur linge et leurs<br />

ceintures. Je n’ai plus de temps pour moi”,<br />

confie-t-il à sa sœur aînée, depuis son téléphone<br />

qui clignote dans <strong>la</strong> nuit tokyoïte.<br />

Le printemps fait brièvement refleurir l’espoir,<br />

au moment du tournoi d’Osaka, quand Takuya<br />

se hisse enfin dans le c<strong>la</strong>ssement, avec ses<br />

cheveux plus longs qui lui donnent l’allure d’un<br />

professionnel. Mais l’optimisme est vite douché<br />

par <strong>la</strong> réalité. “Je n’arrête pas de perdre, de<br />

me blesser, enrage Takuya. Les entraînements<br />

sont devenus plus difficiles. Parfois, je pense<br />

partir. Mais si je partais maintenant, j’aurais<br />

l’impression d’avoir tout gâché. Je veux gagner<br />

mais je n’arrive à rien.” Il s’applique, cherche<br />

des conseils stratégiques auprès d’un coach<br />

dont il n’obtient que de vagues indications.<br />

“Idiot ! l’apostrophe pour finir Oshima, ancien<br />

lutteur autrefois auréolé de son heure de<br />

gloire. Ne pleure pas, tu ne sues pas assez. Tu<br />

crois qu’ils font quoi, les autres ? Entraîne-toi !”<br />

L’ombre du père p<strong>la</strong>ne comme un aigle. Le veuf<br />

n’appelle jamais ; le fils espère qu’il pense à<br />

lui, qu’il se soucie de son sort. Ce n’est guère le<br />

poids des adversaires qui écrase Takuya, mais<br />

celui des espoirs paternels pesant sur ses<br />

épaules. Après que les <strong>la</strong>rmes ont ouvert les<br />

vannes, le jeune homme, longtemps prisonnier<br />

de <strong>la</strong> publicité donnée dans sa ville natale<br />

à sa conversion forcée, ose enfin jeter Kyokutaisei,<br />

son double, au rebut. Quel sou<strong>la</strong>gement !<br />

“J’ai fait ma valise et sans le dire à personne, je<br />

suis parti. Petit à petit, je me suis rendu compte<br />

que ce n’était pas pour moi que je faisais du<br />

sumo, même si c’est moi qui ai décidé d’y aller,<br />

finalement. Je me suis dit que je pouvais faire<br />

autre chose de ma vie. J’ai envie de faire un<br />

autre travail, un travail normal, de manger<br />

normalement, d’avoir une vie normale.” Un sain<br />

retour vers <strong>la</strong> vie. M. M.<br />

A voir<br />

jillcoulon.com<br />

autour du monde 57

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