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de l’album photos qui les relie entreouvre <strong>la</strong> voie<br />

à <strong>la</strong> fabrication d’un récit. Dominique Cabrera<br />

s’arrête ainsi sur une série de photographies<br />

prise alors qu’elle tentait de surmonter une<br />

rupture : “J’étais toute perdue – et en même<br />

temps, j’étais toute contente de recommencer<br />

à faire des photos. Je faisais des sortes de<br />

suites, je photographiais ce qu’il y avait autour<br />

de moi, ce qui comptait pour moi.”<br />

Une autre série de clichés a été prise alors<br />

qu’elle montait son premier film : “J’essayais<br />

de photographier ce qui comptait, une chose<br />

après l’autre, j’étais en train de faire mon premier<br />

film, c’est le montage qui est toujours difficile<br />

pour moi.” La photographie s’offre alors comme<br />

un moyen de se réapproprier le réel environnant,<br />

à des fins de réassurance. En ce<strong>la</strong>, elle contribue<br />

à <strong>la</strong> construction d’un récit personnel, qui peut<br />

déboucher sur un récit filmé : “J’ai photographié<br />

des tas de jacinthes, jusqu’à arriver à les mettre<br />

dans un film.” Pratique photographique et pratique<br />

cinématographique peuvent se rejoindre,<br />

pas seulement parce que <strong>la</strong> première serait le<br />

moyen de préparer <strong>la</strong> seconde, lors d’un processus<br />

d’expérimentation ou de repérage, par<br />

exemple, mais aussi parce que <strong>la</strong> pratique<br />

photographique imprégnerait et fertiliserait, en<br />

quelque sorte, <strong>la</strong> pratique cinématographique<br />

: “Un spectateur m’a dit : votre film, il ressemble<br />

plus à de <strong>la</strong> photographie qu’à du cinéma, et ça<br />

m’a fait plutôt p<strong>la</strong>isir. Finalement, il faudrait<br />

retrouver ça, du cinéma qui soit comme de <strong>la</strong><br />

photographie, comme un jeu.”<br />

La notion de jeu renvoie sans doute, là encore,<br />

à <strong>la</strong> légèreté à <strong>la</strong>quelle est associée toute activité<br />

ludique, mais aussi à d’autres attributs :<br />

l’existence de règles que l’on se fixe, fussentelles<br />

simples (à l’image de celles qui président<br />

à <strong>la</strong> réalisation de Ranger les photos) ; l’assemb<strong>la</strong>ge<br />

de divers éléments qui permet d’atteindre<br />

<strong>la</strong> finalité du jeu (à l’image des lettres d’un jeu<br />

de scrabble qui composent le générique de fin) ;<br />

<strong>la</strong> médiation de <strong>la</strong> parole, enfin, par <strong>la</strong>quelle le<br />

jeu devient récit. La parole en effet irrigue le<br />

film dans ses différentes manifestations, entre<br />

commentaires de l’album photos feuilleté,<br />

remémorations des événements dont les clichés<br />

constituent <strong>la</strong> trace, et narration fragmentaire<br />

d’un parcours à <strong>la</strong> fois intime et professionnel,<br />

dans lequel <strong>la</strong> pratique cinématographique<br />

aspire à rejoindre <strong>la</strong> pratique photographique.<br />

Méditant sur son métier d’écrivain, qui le conduit<br />

à nourrir ses fictions de ses propres expériences<br />

vécues, Mario Vargas Llosa s’interroge : “Qu’y<br />

a-t-il derrière cette incessante transmutation<br />

de <strong>la</strong> réalité en récit? Est-ce <strong>la</strong> volonté de sauver<br />

du temps dévorant certaines expériences qui<br />

me sont chères ?” 5 Fabriquer un album photographique<br />

est une autre manière de bâtir un<br />

récit contre l’oubli. Toutefois, il n’est pas rare<br />

qu’une fois achevé, on l’oublie sur une étagère<br />

ou dans un carton et qu’on le redécouvre plus<br />

tard. Ranger les photos a été tourné en 1998,<br />

à l’occasion de <strong>la</strong> redécouverte par Dominique<br />

Cabrera d’un de ses albums photos, pour être<br />

oublié à son tour par ses auteurs et refaire<br />

surface onze ans plus tard : tout se passe<br />

décidément comme si ce film était parvenu à<br />

rejoindre <strong>la</strong> photographie. E.B.<br />

1 Nora Mathys, La Photographie privée :<br />

une source pour l’histoire de <strong>la</strong> culture visuelle,<br />

intervention présentée dans le cadre du séminaire<br />

Les images entre histoire et mémoire, EHESS – INHA,<br />

31 janvier 2008.<br />

2 Pierre Bourdieu (dir.), Robert Castel (dir.),<br />

Luc Boltanski et Jean-C<strong>la</strong>ude Chamboredon<br />

(préf. Philippe de Vendeuvre), Un Art moyen –<br />

Essai sur les usages sociaux de <strong>la</strong> photographie,<br />

Paris, Ed. de Minuit, coll. Le sens commun, 1965.<br />

3 Howard S. Becker, Sociologie visuelle, photographie<br />

documentaire et photojournalisme : tout (ou presque)<br />

est affaire de contexte, in Communications, 71,<br />

2001. pp. 333-351.<br />

4 “Une règle : douze p<strong>la</strong>ns, avec fondu à l’ouverture<br />

et fondu à <strong>la</strong> fermeture. Le film sera <strong>la</strong> bande tournée<br />

ce jour-là. Sans s’arrêter. Sans revenir en arrière.”<br />

5 Mario Vargas Llosa, Le Pays aux mille visages,<br />

in De sabres et d’utopies, Gallimard, Paris, 2011, p. 46.<br />

cnc.fr/idc<br />

De Dominique Cabrera : Chronique d’une banlieue<br />

ordinaire, 1992, 58'; Rester là-bas, 1992, 47';<br />

Une Poste à <strong>la</strong> Courneuve, 1994, 54'.<br />

Ranger les photos<br />

2009, 14', couleur, documentaire<br />

réalisation : Dominique Cabrera,<br />

Laurent Roth<br />

production : In the mood…<br />

Un film exhumé, quelque dix ans après<br />

tournage, à l’instar des photos qu’il expose.<br />

En une série de douze p<strong>la</strong>ns, séparés<br />

par des fondus au noir, <strong>la</strong> réalisatrice<br />

Dominique Cabrera commente ses albums<br />

de photographies sortis des cartons<br />

après un déménagement. Séquences<br />

tournées-montées par Laurent Roth en 1998,<br />

à <strong>la</strong> fin d’un bon repas, comme une mise<br />

en abyme des instants suspendus saisis<br />

sur le papier g<strong>la</strong>cé.<br />

Dominique Cabrera tourne les pages<br />

des albums : fêtes de famille, montage<br />

du premier film, objets favoris, portraits d’amis<br />

et de parents. Elle médite sur <strong>la</strong> puissance<br />

d’évocation propre à <strong>la</strong> photographie,<br />

“médium doux et violent, qui serre le cœur<br />

plus que le cinéma ; à <strong>la</strong> fois léger, rapide<br />

comme un battement de cils, et grave”.<br />

Nous sommes les premiers dont <strong>la</strong> vie<br />

est entièrement soumise au regard<br />

de <strong>la</strong> photographie. Elle joue pour nous<br />

un rôle à <strong>la</strong> fois poétique et rituel : célébrer<br />

l’instant, retenir “ce qui compte”. “La mort<br />

au travail”, dont par<strong>la</strong>it Cocteau à propos<br />

du cinéma, s’observe ici en accéléré.<br />

Le miroir qu’elle nous tend ne nous reflète<br />

jamais identiques à nous-mêmes. Il désigne<br />

un au-delà où “les visages deviennent<br />

innocents”. Cette innocence, comme<br />

<strong>la</strong> tendresse qui entoure les petits visages<br />

de papier caressés du bout des doigts,<br />

allègent le film de son terrible secret,<br />

pour ébaucher, p<strong>la</strong>n après p<strong>la</strong>n, un portrait<br />

sensible de celle dont on entend <strong>la</strong> voix.<br />

S.M.<br />

92 images de <strong>la</strong> culture

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