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“Non”, reconnaît Godard. Le dialogue se muscle,<br />

les rhéteurs s’amusent : “Tu ne vou<strong>la</strong>is pas parler<br />

trop c<strong>la</strong>irement…” poursuit Ophüls et, à l’adresse<br />

des spectateurs : “Chez Godard <strong>la</strong> mémoire est<br />

sélective, et… consciemment sélective!” [rires].<br />

S’ensuit le tressage de deux fils aussi merveilleux<br />

qu’improbables. Comment tourner un film<br />

en Palestine et en Israël quand on n’a pas envie<br />

de se faire kidnapper ? Et comment s’y prendre<br />

pour être réalisateur lorsque l’on ne veut pas<br />

“passer son temps à mendier auprès des producteurs”<br />

? L’évocation du projet inabouti et<br />

des 200 000 fax que Godard reçut d’Ophüls à<br />

ce sujet fait ressortir les failles d’une ancienne<br />

fâcherie, et plus encore <strong>la</strong> dissymétrie de deux<br />

parcours inégalement lotis. Jean-Luc Godard<br />

insiste sur des choix qui font socle pour lui, de<br />

sa jeunesse auprès de François Truffaut à<br />

aujourd’hui : être producteur pour être indépendant,<br />

se foutre des contrats mais créer dans<br />

le cadre de commandes : “On a aucun droit<br />

[d’auteur], mais des devoirs.” Marcel Ophüls<br />

évoque lui les enseignements de son père : “On<br />

n’édite pas à compte d’auteur”, car <strong>la</strong> valeur<br />

tient dans <strong>la</strong> capacité du réalisateur à trouver<br />

producteur. Mais ce qui va<strong>la</strong>it à l’époque des<br />

“grands seigneurs” (les producteurs des années<br />

1930-40-50) s’était en fait déjà délité quand le<br />

fils débuta sa carrière en 1962. C’était une erreur,<br />

constate Marcel Ophüls, “je me suis <strong>la</strong>issé piéger<br />

moi-même”.<br />

Le projet inachevé rode, à nouveau. Ophüls<br />

reformule <strong>la</strong> nécessité de poser par contrat<br />

“qui fait quoi”. Pour Godard, l’évidence est pratique<br />

: “Je peux avancer mon bras long pour<br />

avoir de l’argent… On fait les choses chacun.<br />

On se dit on va là.” Il est à présent question de<br />

se payer un café. Et l’on se prend à imaginer <strong>la</strong><br />

poursuite du dialogue au bistrot d’à côté ; il est<br />

même possible de croire, un temps, avoir assisté<br />

à <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce du vieux projet commun. Le film en<br />

train de se faire au théâtre St-Gervais aurait-il<br />

remis en mouvement – par <strong>la</strong> grâce du cinéma<br />

et <strong>la</strong> puissance de <strong>la</strong> parole – celui qui ne s’était<br />

pas fait ? Mais jusqu’à <strong>la</strong> fin le hiatus demeure,<br />

qui porte en lui de nouvelles séparations.<br />

Ophüls : “On peut en reparler, alors ?” ; Godard :<br />

“C’est fait !” F. B.<br />

A lire / A voir<br />

Antoine de Baecque, Le “jardinier du cinéma”<br />

dans le charnier de l’histoire, pp. 681-687, et<br />

Sarajevo en champ-contrechamp, pp. 786-797,<br />

in Godard, Grasset, 2010.<br />

Marc Ferro, De l’interview chez Ophüls, Harris<br />

et Sédouy, pp. 162-166, in Cinéma et Histoire,<br />

Gallimard, 1993.<br />

Henry Rousso, Impitoyable Chagrin, pp. 121-136,<br />

in Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours,<br />

Seuil, 1990.<br />

De Frédérique Berthet : L’Humain de l’archive.<br />

Qui trouve-t-on dans les archives ?, textes<br />

réunis par Frédérique Berthet et Marc Vernet,<br />

Textuel No.65, Presses de l’Université Paris<br />

Diderot, 2011.<br />

cnc.fr/idc :<br />

Marcel Ophüls, parole et musique,<br />

de Bernard Bloch et François Niney, 2005, 54'.<br />

Godard, l’amour, <strong>la</strong> poésie, de Luc Lagier, 2007,<br />

53'. Il était une fois… Le Mépris,<br />

d’Antoine de Gaudemar, 2009, 52'.<br />

No Comment, d’André S. Labarthe, p. 38.<br />

Marcel Ophüls<br />

et Jean-Luc Godard,<br />

<strong>la</strong> rencontre de Saint-Gervais<br />

2011, 43', couleur, documentaire<br />

réalisation : Vincent Lowy, Frédéric Choffat<br />

production : Les Films du Tigre,<br />

Théâtre St-Gervais/Genève<br />

participation : Ville de Genève, République<br />

et Etat de Genève, Fondation St-Gervais<br />

Le 31 octobre 2009, après <strong>la</strong> projection<br />

du Chagrin et <strong>la</strong> Pitié (1971), Jean-Luc Godard<br />

et Marcel Ophüls se rencontrent en public<br />

au théâtre Saint-Gervais, à Genève.<br />

Captation de ce moment, le film commence<br />

par une suite de tirades sur l’Histoire,<br />

<strong>la</strong> réception du film et ce qu’est être juif,<br />

pour devenir peu à peu un échange chargé<br />

d’ironie et de tendresse, où les deux cinéastes<br />

reviennent sur le projet d’un film commun.<br />

Jean-Luc Godard se souvient de son enfance<br />

et évoque un trou dans sa mémoire qui est<br />

aussi le trou de l’Histoire, celui-là même<br />

que vient combler Le Chagrin et <strong>la</strong> Pitié.<br />

Marcel Ophüls rappelle que le film a été<br />

censuré par Simone Veil qui ne vou<strong>la</strong>it pas<br />

que le film passe à <strong>la</strong> télévision, jugeant<br />

qu’il ridiculisait <strong>la</strong> France et <strong>la</strong> Résistance.<br />

Ils se souviennent alors d’une dispute<br />

à propos d’un film qu’ils devaient peut-être<br />

faire ensemble, sur ce qu’est “être juif” –<br />

pour Ophüls, c’est avant tout un destin,<br />

une décision des autres. Mais cette double<br />

signature de film poserait <strong>la</strong> question<br />

de l’auteur et Godard enchaîne, fidèle<br />

à lui-même, sur le sens des mots “droits<br />

d’auteur” et “politique des auteurs”.<br />

Selon lui, aujourd’hui il n’y a plus d’auteur :<br />

pour preuve <strong>la</strong> télévision permet de changer<br />

de format sans tenir compte du cadre, donc<br />

du regard du cinéaste. Les deux réalisateurs<br />

s’entendent pour mettre en cause les modes<br />

de production actuels. M. D.<br />

40 images de <strong>la</strong> culture

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