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Cinéma, de notre temps<br />
Catherine Breil<strong>la</strong>t,<br />
<strong>la</strong> première fois<br />
2012, 55', couleur, documentaire<br />
réalisation : Luc Moullet<br />
production : Independencia Productions<br />
participation : <strong>CNC</strong>, Ciné+, Procirep, Angoa<br />
“Je ne peux pas arrêter de parler et d’ailleurs<br />
c’est comme ça que je découvre ce que<br />
je pense”, dit Dominique Laffin dans Tapage<br />
nocturne (1979). A l’image de ses personnages,<br />
Catherine Breil<strong>la</strong>t parle et se révèle.<br />
Luc Moullet analyse des extraits de ses films<br />
et raconte ses souvenirs de spectateur.<br />
Il convoque aussi l’actrice Roxane Mesquida<br />
et <strong>la</strong> monteuse Pascale Chavance pour<br />
aborder l’art et <strong>la</strong> manière de <strong>la</strong> cinéaste.<br />
Les deux premiers films de Catherine Breil<strong>la</strong>t,<br />
Une Vraie Jeune Fille (1976) et Tapage<br />
nocturne, perçus comme voyeuristes,<br />
connaissent un accueil exécrable, ce qui est<br />
sans doute dû à sa volonté de “matérialiser<br />
les interdits”. Celle qui dit être “<strong>la</strong> fille<br />
de Bergman et de Lautréamont” donne<br />
en effet une vision des rapports entre les sexes<br />
non conventionnelle : il faut que l’homme<br />
soit dégoûtant pour être désirable, ce qui<br />
ne l’empêche pas de se projeter dans le regard<br />
de Rocco Siffredi, faisant d’Amira Casar<br />
un Christ devenu femme dans Anatomie<br />
de l’enfer (2003). Au-delà de cette image<br />
tapageuse, Breil<strong>la</strong>t est une artiste qui travaille<br />
<strong>la</strong> couleur – elle va jusqu’à décolorer l’herbe<br />
dans Une Vraie Jeune Fille – et poursuit<br />
des motifs visuels, les escaliers par exemple.<br />
Luc Moullet analyse les morceaux de bravoure<br />
d’A ma sœur (2000), qui témoignent du talent<br />
de Breil<strong>la</strong>t pour trouver <strong>la</strong> juste durée<br />
des p<strong>la</strong>ns et pour amener les acteurs<br />
à des émotions sincères. M.D.<br />
burlesque<br />
Ce burlesque se retrouve dans L’Homme des<br />
Roubines, notamment dans une scène (Ribier,<br />
560 mètres) où Moullet met à exécution, ligne<br />
à ligne, le protocole d’ouverture décrit par son<br />
frère pour entrer dans <strong>la</strong> maison (en mauvais<br />
état) qu’ils possèdent. Le comique réside entièrement<br />
dans <strong>la</strong> manière dont Moullet effectue<br />
à <strong>la</strong> lettre une succession d’actions brinqueba<strong>la</strong>ntes,<br />
à <strong>la</strong> limite de l’absurde, qui n’ont pas<br />
tant pour but de nous “faire visiter” que de nous<br />
montrer ses propres mouvements, <strong>la</strong> manière<br />
dont il se dépêtre avec des objets, sans qu’il soit<br />
possible de distinguer <strong>la</strong> part de jeu de <strong>la</strong> part<br />
documentaire “réelle”.<br />
“La fiction est à l’intérieur, le documentaire à<br />
l’extérieur” disait Luc Moullet à Annie Vacelet<br />
dans La Ruée vers l’art, et le film de Gérard<br />
Courant paraît justement osciller entre les<br />
deux genres : il fait du cinéaste une sorte de<br />
showman qui nous reste toujours opaque. La<br />
manière dont il s’exprime exclut effectivement<br />
toute empathie ou émotion, alors même que<br />
sont abordés des thèmes intimes, par exemple<br />
celui de <strong>la</strong> folie, à <strong>la</strong> fois familiale (<strong>la</strong> grandmère)<br />
et géographique – le dernier long métrage<br />
en date du cinéaste, La Terre de <strong>la</strong> folie (2010)<br />
traite justement de cet étrange triangle de <strong>la</strong><br />
folie circonscrit aux Alpes du Sud.<br />
On voit aussi ressortir un étrange rapport à<br />
l’argent : des problèmes de production aux<br />
impôts, en passant par de l’argent tombé du ciel<br />
grâce à une erreur informatique ou <strong>la</strong> proposition<br />
de vente directement adressée au spectateur<br />
d’un champ appartenant au cinéaste ! Ce n’est<br />
pas pour rien que Moullet mentionnera (comme<br />
il le fait dans La Ruée vers l’art) le “stade anal”<br />
psychanalytique qu’un critique avait noté dans<br />
son œuvre, évoquant par là les pratiques coprophages<br />
de sa grand-mère enfant !<br />
L’Homme des Roubines joue donc perpétuellement<br />
sur des points limites, en même temps<br />
qu’il s’évertue à donner le plus de points de vue<br />
possibles. P<strong>la</strong>cer Moullet perpétuellement en<br />
situation lui permet de montrer <strong>la</strong> manière<br />
dont l’art et le savoir du cinéaste sont toujours<br />
issus de l’expérience ; Moullet autant que Courant<br />
jouent et créent avec les éléments matériels<br />
à leur portée : décor naturel, histoire locale,<br />
situation sociale, ou même films des autres.<br />
le spectateur-critique<br />
Car Luc Moullet n’est pas seulement cinéaste,<br />
mais aussi, comme ses contemporains de <strong>la</strong><br />
Nouvelle Vague, un excellent critique de cinéma.<br />
Et c’est dans <strong>la</strong> position du critique plus que<br />
celle du cinéaste que s’ébauche le dialogue<br />
avec Catherine Breil<strong>la</strong>t dans Catherine Breil<strong>la</strong>t,<br />
<strong>la</strong> première fois. Jamais ne sera abordée <strong>la</strong><br />
42 images de <strong>la</strong> culture