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miloš forman,<br />
des soviets aux hippies<br />
Interrogé dans sa maison du Connecticut par<br />
Luc Lagier, Miloš Forman se défend de faire des<br />
films politiques, qu’il craint ennuyeux. Le réalisateur<br />
n’a pourtant cessé d’assumer une posture<br />
subversive, dans les sujets de ses films<br />
comme dans leur conception, autant sous l’ère<br />
du communisme tchèque qu’aux Etats-Unis.<br />
C’est cet itinéraire, loin des ruisseaux tranquilles<br />
qui bordent sa maison américaine, que<br />
Luc Lagier entend restituer, grâce à l’indéniable<br />
talent de conteur du cinéaste et une foule de<br />
documents d’archives. Forman, visiblement rodé<br />
à l’exercice, et avec un humour détaché contrastant<br />
avec les situations ubuesques et douloureuses<br />
qui ont jalonné son parcours, déplie<br />
l’ambiance de <strong>la</strong> Tchécoslovaquie d’alors : une<br />
censure omniprésente, tant sur les œuvres<br />
que les mentalités, face à une jeunesse très<br />
vivante, partagée entre l’écho des modes de<br />
l’Ouest (notamment en musique et en danse)<br />
et une idéologie de plomb. Seul échappatoire<br />
possible : essayer de rallier l’Ouest.<br />
Avec ses camarades de <strong>la</strong> nouvelle vague<br />
tchèque, dont il deviendra après son premier<br />
film (L’As de pique, 1963) le chef de file, il s’agit<br />
d’être simplement fidèle à <strong>la</strong> réalité de <strong>la</strong> jeunesse,<br />
contre l’utopie “stupide” des idéologues :<br />
montrer les aspirations, les errances, les divertissements<br />
et les dragues des jeunes Tchèques.<br />
Pour les suivre, <strong>la</strong> caméra se fait légère et vive,<br />
le rythme rapide, le scénario <strong>la</strong>isse une p<strong>la</strong>ce à<br />
l’improvisation, assumée par quelques acteurs<br />
professionnels entourés d’amateurs dont le<br />
mé<strong>la</strong>nge, comme le raconte Forman, sert à<br />
composer un certain mouvement de jeu : les premiers<br />
donnant le rythme, tandis que les seconds<br />
apportent leur franchise documentaire. En<br />
parallèle, Lagier rythme son film à l’aide de<br />
grandes p<strong>la</strong>ges musicales, insistant particulièrement<br />
sur cet aspect mélodique des films<br />
de Forman (“Une jeune fille prend sa guitare et<br />
chante” revient comme un gimmick) et intervient<br />
en voix off pour raconter le contexte historique.<br />
La part importante de méthodes non-conven-<br />
Milos Forman années 60<br />
Focus sur Miloš Forman à travers deux films : Miloš Forman années 60 de Luc Lagier<br />
et Il était une fois… Vol au-dessus d’un nid de coucou d’Antoine de Gaudemar.<br />
D’Est en Ouest, l’itinéraire de vie et de création peu commun du cinéaste éc<strong>la</strong>ire <strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité<br />
de ses films et leur dimension libertaire. Par Pierre Eugène.<br />
tionnelles de tournage, qui suivra Forman tout<br />
au long de sa carrière, associée à son ton irrévérencieux,<br />
rend difficile ses rapports à toute<br />
autorité, y compris avec les productions. L’épisode<br />
d’Au feu les pompiers (1967), dernier film<br />
qu’il réalisera en Tchécoslovaquie, est à ce titre<br />
exemp<strong>la</strong>ire. Intrigué par le succès des Amours<br />
d’une blonde (1965), Carlo Ponti décide de<br />
produire le prochain film de Forman. Ce dernier<br />
saute alors sur l’occasion pour réaliser le<br />
film qu’il désirait, lequel pouvait outrepasser<br />
<strong>la</strong> censure puisqu’il serait distribué à l’étranger.<br />
De fait, cette comédie burlesque et satirique<br />
sur une fête de vil<strong>la</strong>ge tournant au désastre, et<br />
métaphore transparente du régime, eut l’heur<br />
de ne pas simplement dép<strong>la</strong>ire aux censeurs<br />
(qui l’interdirent “pour toujours”), mais également<br />
à Carlo Ponti lui-même, maugréant après<br />
<strong>la</strong> projection (“ce film est contre les petites gens,<br />
et les petites gens ne paieront pas pour aller<br />
voir ce film”) et exigeant remboursement ! Heureusement,<br />
François Truffaut et C<strong>la</strong>ude Berri<br />
rachèteront le film à Ponti et le distribueront<br />
avec succès dans le monde entier, sauf à l’Est.<br />
des errances à l’exil : le libertaire contrarié<br />
L’ouverture vers l’Ouest est entamée, mais les<br />
promesses de liberté ne seront pas pour autant<br />
de tout repos. C’est le scénariste Jean-C<strong>la</strong>ude<br />
Carrière, dans un autre havre de paix, rempli<br />
de photographies et de livres, qui prend le re<strong>la</strong>is<br />
à l’écran pour raconter le voyage aux Etats-Unis.<br />
En février 1968, en pleine libération du Printemps<br />
de Prague, Forman part avec Carrière à<br />
New York écrire le scénario de ce qui deviendra<br />
Taking Off (1971). Il raconte leur découverte de<br />
<strong>la</strong> contre-culture hippie, le mythique Chelsea<br />
Hotel ; un ensemble d’anecdotes étranges et<br />
drôles qui nourriront l’écriture du scénario.<br />
Mais cette écriture va être bien malmenée. Fin<br />
mars, le quartier de Watts s’enf<strong>la</strong>mme après<br />
l’assassinat de Martin Luther King, poussant<br />
les deux compères à revenir à Paris pour travailler<br />
plus tranquillement. Là Mai 68 éc<strong>la</strong>te,<br />
Miloš Forman années 60<br />
2010, 51', couleur, documentaire<br />
réalisation : Luc Lagier<br />
production : Camera Lucida Productions<br />
participation : <strong>CNC</strong>, Ciné Cinéma, Procirep,<br />
Angoa<br />
Chef de file de <strong>la</strong> nouvelle vague tchèque,<br />
Miloš Forman (né en 1932) réalise trois longs<br />
métrages avant de s’exiler en 1968 pendant<br />
<strong>la</strong> répression du Printemps de Prague.<br />
En un long entretien dans sa maison<br />
du Connecticut aux Etats-Unis, le cinéaste<br />
raconte <strong>la</strong> première partie de son œuvre,<br />
indissociable de l’évolution du communisme<br />
en Tchécoslovaquie dans les années 1960.<br />
Commentaires off de Luc Lagier et archives<br />
complètent ce portrait.<br />
La censure marque Forman dès son enfance,<br />
interdisant le cinéma qu’il aime. Il entre<br />
à l’école de cinéma de Prague, <strong>la</strong> FAMU,<br />
et achète une caméra 16 mm.<br />
Dans L’Audition (1963), <strong>la</strong> caméra à l’épaule<br />
tremble et invente un style. Alors que le cinéma<br />
officiel représente “<strong>la</strong> vie telle qu’elle sera<br />
dans <strong>la</strong> société communiste”, il suit un vigile<br />
de supermarché qui s’amuse plutôt que<br />
de travailler (L’As de pique, 1963), ou raconte<br />
les désenchantements d’une jeune femme<br />
(Les Amours d’une blonde, 1965). Le tournage<br />
d’Au feu les pompiers (1967) transforme<br />
le scénario original en satire politique :<br />
<strong>la</strong> censure interdit le film. Après un passage<br />
à Paris, Forman s’installe alors à l’hôtel<br />
Chelsea à New York et dresse le portrait<br />
d’hippies dans Taking off (1971), miroir inversé<br />
de <strong>la</strong> situation tchèque où l’URSS réprime<br />
par <strong>la</strong> force l’é<strong>la</strong>n de liberté. Vol au-dessus<br />
d’un nid de coucou (1975), film tout autant<br />
métaphorique sur <strong>la</strong> Tchécoslovaquie,<br />
lui apporte une reconnaissance internationale.<br />
M. D.<br />
A voir<br />
milosforman.com<br />
26 images de <strong>la</strong> culture