télécharger la revue - CNC
télécharger la revue - CNC
télécharger la revue - CNC
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Je vous écris du Havre<br />
selle et de meubles, le tout mêlé à des ossements<br />
humains – 150 ha du cœur historique<br />
de <strong>la</strong> ville dévastés en quelques jours, 5000<br />
morts et 80 000 personnes sans-abri. [“Sous<br />
les pavés du Havre, il n’y a pas <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge, mais<br />
une matière mêlée de tout ce qui fait une ville,<br />
de tout ce qui fait des vies, une matière qui n’a<br />
pas de nom. Il faut se méfier de l’apparence des<br />
choses”, égrène <strong>la</strong> voix de Dominique Reymond].<br />
Quelle surprise de voir soudain surgir<br />
entre deux cartes postales d’époque<br />
et les travellings dans <strong>la</strong> ville le réalisateur<br />
fin<strong>la</strong>ndais Aki Kaurismäki venu tourner<br />
Le Havre ! Etait-ce un hasard ?<br />
Ce n’est que quelques semaines avant mon<br />
tournage que j’ai appris qu’il réaliserait son film<br />
en même temps. J’ai demandé à pouvoir filmer<br />
un peu mais refus catégorique. Par chance, on<br />
était logés dans le même hôtel que Kati Outinen,<br />
l’actrice phare de Kaurismäki, qui a fait tout ce<br />
qu’elle pouvait pour le décider, mais sans plus<br />
de succès. Et puis un jour, Kaurismäki a changé<br />
d’avis ! On a eu droit à deux heures, il ne fal<strong>la</strong>it<br />
surtout pas le déranger. Il a voulu voir les images,<br />
m’a autorisée à en monter quelques-unes. Il a<br />
vu le film terminé, et quand je l’ai revu dans un<br />
festival, il m’a dit qu’il était content, que ça lui<br />
p<strong>la</strong>isait beaucoup. C’était <strong>la</strong> cerise sur le<br />
gâteau ! Le plus drôle, c’est qu’il avait pensé,<br />
pour le rôle de <strong>la</strong> bou<strong>la</strong>ngère dans Le Havre, à<br />
Dominique Reymond, mais qui était prise par<br />
une tournée de théâtre.<br />
Est-ce que le Havre est si jaune que vous<br />
le dites en relevant l’omniprésence de cette<br />
couleur, une teinte qui “appellerait<br />
au ralliement zénithal” de toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion?<br />
Oh oui, pour moi, le jaune domine de façon<br />
énorme. Les Havrais me disent que c’est une<br />
idée que je me suis faite, mais je ne suis pas<br />
d’accord avec eux ! Il y a cet immeuble équipé<br />
de stores jaunes, près de l’église Saint-Joseph.<br />
Quand le soleil sort et que tout le monde les<br />
déroule, c’est un vrai spectacle. D’ailleurs, mon<br />
impression est confirmée par les écrits d’Auguste<br />
Perret lui-même : il disait qu’il fal<strong>la</strong>it<br />
injecter dans cette nouvelle ville des couleurs<br />
vitaminées. Et le jaune, c’est vitaminé !<br />
Quels sont vos projets aujourd’hui ?<br />
Je travaille sur un documentaire consacré au<br />
jardin tropical du bois de Vincennes. Il porte le<br />
titre provisoire de En Friche mais je ne suis pas<br />
convaincue… Ce jardin, qui fut un espace de<br />
l’exposition coloniale de 1907, destiné à l’exhibition<br />
de spécimens humains, a été une école<br />
d’agriculture et d’agronomie tropicale doublée<br />
d’une université, avec des serres aujourd’hui<br />
dévastées. Les bâtiments ont été détruits par<br />
des incendies, par <strong>la</strong> tempête de 1999, envahis<br />
par <strong>la</strong> végétation… et l’espace est pourtant<br />
ouvert au public, contre toute logique ! L’école<br />
et l’université sont encore un peu exploitées<br />
mais le jardin ressemble à un terrain vague, à<br />
peine entretenu pour permettre aux visiteurs de<br />
déambuler dans les allées. La pièce d’eau est<br />
depuis longtemps colonisée par <strong>la</strong> faune locale<br />
– canards, poissons, etc. Cet endroit n’est promis<br />
à aucun avenir…<br />
Propos recueillis par Malika Maclouf, août 2012<br />
Film retenu par <strong>la</strong> commission<br />
Images en bibliothèques<br />
En quatre chapitres, Françoise Poulin-Jabob<br />
nous fait voyager dans le temps et dans<br />
sa fascination pour l’architecture.<br />
Le Havre, cette ville qu’elle n’a pas habitée,<br />
juste traversée lors d’un voyage en famille<br />
pour voir Le France dans les années 1960,<br />
l’a subjuguée. Le Havre, une ville anéantie<br />
par les bombardements en 1944. Sur les amas<br />
de gravats, de terre et d’ossements,<br />
Auguste Perret et son équipe se sont attelés<br />
à ce projet ambitieux de faire de ce champ<br />
de ruines une ville complètement repensée,<br />
idéale, résolument moderne, en osant utiliser<br />
le béton comme matériau peu cher.<br />
Ce matériau est donc à l’honneur ; qu’il soit<br />
lisse, granuleux, coloré, en graviers, en agrégats,<br />
il rythme les horizontalités, les verticalités,<br />
les perspectives irréprochables.<br />
Les prises de vues soignées d’aujourd’hui<br />
alternent avec des images des années 1960<br />
tout d’abord, puis avec des archives de 1944.<br />
Elles s’encastrent parfaitement, comme si<br />
le temps n’avait rien changé. Le cadrage<br />
insistant sur <strong>la</strong> géométrie des lignes nous fait<br />
tourner un peu <strong>la</strong> tête, et c’est bien.<br />
Le texte dit en voix off est précis, poétique,<br />
avec une belle syntaxe. Des sons de <strong>la</strong> ville<br />
enrichissent l’ensemble. Tout est pertinent,<br />
et c’est un vrai p<strong>la</strong>isir. La musique de Bach est<br />
en parfaite adéquation avec cette architecture.<br />
J’avoue, ce film m’a donné très envie d’aller<br />
au Havre afin de découvrir cette richesse<br />
urbaine. C’est un coup de cœur.<br />
Emmanuelle Fredin<br />
(Bibliothèque municipale à vocation régionale,<br />
Toulouse)<br />
A voir / A lire<br />
francoise-poulin-jacob.com<br />
interstices de ville 79