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une tragédie en trois actes entretien avec Rania Stephan<br />
Propos recueillis par Michel Amarger, février 2012.<br />
Que représente pour vous Soad Hosni ?<br />
C’est <strong>la</strong> vie, l’amour, <strong>la</strong> mort, <strong>la</strong> violence, les images, <strong>la</strong> représentation.<br />
C’est tout un monde, une constel<strong>la</strong>tion, c’est le cinéma ! Ce film est<br />
un travail très personnel et universel à <strong>la</strong> fois, car faire un film<br />
sur une actrice morte, sur le cinéma, c’est d’une certaine manière<br />
faire revivre quelqu’un en images, et ce<strong>la</strong> touche quelque chose<br />
de très profond et souterrain en moi, en même temps qu’il restaure<br />
une part de notre mémoire collective. Pendant tout le temps du travail,<br />
j’avais en tête cette phrase très juste de Jean-Luc Godard :<br />
“La représentation console de ce que <strong>la</strong> vie est difficile, mais <strong>la</strong> vie<br />
console de ce que <strong>la</strong> représentation n’est qu’une ombre.”<br />
Comment est venue l’idée de faire un film sur elle ?<br />
C’est un désir ancien et “désirer” c’est “regretter l’absence de”,<br />
selon le Petit Robert. Ce matériau a longtemps exercé sur moi<br />
une grande fascination. Lorsque j’étais étudiante en cinéma en Australie,<br />
aux antipodes du monde arabe, je suis tombée un jour par hasard<br />
sur des films popu<strong>la</strong>ires égyptiens avec Soad Hosni. Le système<br />
académique occidental n’enseignait pas le cinéma arabe et ces films<br />
étaient décriés par les critiques qui défendaient un cinéma arabe<br />
engagé contre les films popu<strong>la</strong>ires qui “endorment les masses”.<br />
J’étais subjuguée par <strong>la</strong> beauté, <strong>la</strong> grâce et le talent de Soad Hosni.<br />
Elle avait l’appeal des stars hollywoodiennes et le talent des vraies<br />
actrices. Ses films procuraient du p<strong>la</strong>isir au spectateur et un intérêt<br />
pour les préoccupations d’une jeunesse arabe qui se cherchait.<br />
Le choc éprouvé à <strong>la</strong> vision de ces films m’a conduit à faire mon travail<br />
de mémoire universitaire sur elle. Cette fascination ne m’a jamais lâchée.<br />
Comment ont été choisis les films utilisés dans votre portrait ?<br />
Je suis quelqu’un d’obstinée. J’ai donc essayé de retrouver <strong>la</strong> filmographie<br />
complète de Soad Hosni ! Sur les quatre-vingt-deux films qu’elle a<br />
tournés, j’en ai trouvé soixante-dix-sept en VHS. Je vou<strong>la</strong>is montrer<br />
les différentes facettes de son personnage cinématographique<br />
tout en insuff<strong>la</strong>nt des éléments de sa vie personnelle et en démontrant<br />
les changements qui se sont opérés dans le cinéma égyptien<br />
sur ces trente ans. Le film est travaillé par plusieurs niveaux de lecture.<br />
Quel a été votre fil conducteur pour entreprendre le montage<br />
et construire le film en prologue, actes et épilogue ?<br />
Le film s’est construit comme une tragédie en trois actes où une actrice<br />
morte essaye de se souvenir de sa vie et de sa carrière.<br />
Sa mémoire revient par fragments, par soubresauts. Le souvenir,<br />
le rêve ou le cauchemar sont utilisés comme des ressorts narratifs<br />
avec leurs éléments constitutifs tels que les répétitions, les récurrences,<br />
les condensations, les omissions, les hésitations, des f<strong>la</strong>shback<br />
et fastforward. Le film parle de Soad Hosni l’actrice, de sa “persona”<br />
comme on dit, et non pas de <strong>la</strong> vraie personne que je n’ai pas connue.<br />
Elle a eu une fin tragique ; il fal<strong>la</strong>it théâtraliser son histoire pour mettre<br />
en évidence cette différence entre le personnage cinématographique<br />
et <strong>la</strong> vraie personne.<br />
Quel sens pourrait avoir ce jeu insistant avec <strong>la</strong> texture des VHS ?<br />
En travail<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> matière au montage, le VHS est entré dans <strong>la</strong> narration<br />
même du film. La trame noire du VHS, avec sa texture particulière<br />
et sa neige grésil<strong>la</strong>nte, est devenue <strong>la</strong> trame même de <strong>la</strong> mémoire<br />
de l’actrice qui essaye de se souvenir. Dans les premières images,<br />
les souvenirs surgissent de ce noir scratché du VHS.<br />
Etes-vous nostalgique de ces anciens supports ?<br />
Nostalgique non. Mais j’aime le cinéma. L’image sur pellicule est unique,<br />
irremp<strong>la</strong>çable. Elle est ancrée dans ma mémoire. J’aime cette image,<br />
elle m’émeut beaucoup. Avec le VHS, ce qui a commencé comme<br />
un travail d’archive et de recherche est devenu le matériau même du film<br />
et une passion en soi. J’ai adoré cette image imparfaite, baveuse, floue,<br />
imprécise, imprévisible, mystérieuse et libre. Elle a trait un peu avec<br />
<strong>la</strong> peinture. Mais c’est une image déjà oubliée, remp<strong>la</strong>cée par l’image<br />
DVD. Le numérique essaye désespérément d’imiter le 35 mm<br />
sans vraiment y arriver. Je trouve qu’il faut utiliser chaque support<br />
pour ce qu’il est et ne pas essayer de camoufler un support par un autre.<br />
A qui est destiné ce portrait de star égyptienne ?<br />
Je ne l’ai pas fait pour un public particulier, arabe ou occidental.<br />
Je crois que l’histoire et le destin de Soad Hosni transcendent le contexte<br />
culturel d’origine. Le film montre le destin tragique d’une actrice,<br />
d’une femme, dans sa jeunesse, sa gloire et sa maturité; l’énorme travail<br />
qu’elle a fait dans sa vie et tout ce que son corps a subi, ses amours,<br />
ses joies et ses peines, sa douleur et le temps qui passe. C’est une histoire<br />
qui dépasse sa référence culturelle d’origine.<br />
Quel souvenir avez-vous de <strong>la</strong> projection du film pour le prix<br />
Renaud-Victor à <strong>la</strong> prison des Baumettes à Marseille pendant le FID ?<br />
C’était un moment très fort et précieux. Voir l’histoire tragique de cette<br />
actrice, cette femme belle et talentueuse se déployer devant les détenus,<br />
dans ce milieu clos, contraint, était incroyable. Ils étaient très émus<br />
et sensibles à son destin. Ils ont posé des questions à l’infini, sur sa vie,<br />
son histoire, sur l’Egypte et le cinéma, sur moi en tant que réalisatrice<br />
arabe, sur le documentaire, <strong>la</strong> fiction, sur <strong>la</strong> beauté et <strong>la</strong> mort…<br />
Je crois que <strong>la</strong> discussion a duré deux heures. C’était passionnant.<br />
Que vous a appris cette expérience ?<br />
Elle m’a appris qu’émouvoir le spectateur d’une manière intelligente<br />
et non pas marchande était difficile mais nécessaire pour faire passer<br />
des choses importantes dans un film. J’ai compris surtout que <strong>la</strong> beauté<br />
sauve l’âme.<br />
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