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Vive <strong>la</strong> baleine<br />

baleines : “Vous êtes devenues une industrie,<br />

comme le cinéma, et à vous non plus ça n’a pas<br />

réussi.” Le commentaire enchaîne d’autres<br />

phrases-chocs : “En 1972, <strong>la</strong> Commission<br />

baleinière internationale propose un arrêt de<br />

<strong>la</strong> chasse pendant dix ans. Adopté avec enthousiasme<br />

par <strong>la</strong> Suisse ou le Liban, cette résolution<br />

est évidemment ignorée par les pays qui<br />

monopolisent <strong>la</strong> pêche industrielle, le Japon<br />

et l’URSS. Leur argument ? Notre industrie en a<br />

besoin. Mais lorsqu’il n’y aura plus de baleines<br />

du tout, il faudra bien qu’elle trouve d’autres<br />

solutions, leur industrie ! Alors le problème est<br />

c<strong>la</strong>ir : avancer de cinq ans une reconversion<br />

inévitable ou prolonger inutilement l’hécatombe<br />

d’une espèce animale utile à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète.<br />

Dans ces cas-là, les hommes n’hésitent pas.<br />

Ils choisissent l’hécatombe.”<br />

Cette conscience tragique ne parcourait pas<br />

le premier film – et dans cet écart se mesure le<br />

changement de paradigme qui s’est opéré en<br />

une quinzaine d’année. L’anthropocentrisme<br />

fondamental des années 1950, caractéristique<br />

de l’humanisme optimiste des années<br />

d’après-guerre (dont Le Monde du silence de<br />

Malle et Cousteau, parfaitement contemporain,<br />

est inconsciemment l’expression <strong>la</strong> plus<br />

stupéfiante à nos yeux : <strong>la</strong> nature comme inépuisable<br />

terrain de jeu pour l’homme, à disposition<br />

des humains), a cédé <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à l’écologie,<br />

un renversement profond des valeurs : ce n’est<br />

plus l’homme qui est au centre du monde,<br />

mais l’écosystème lui-même.<br />

Le lyrisme de l’affrontement des hommes aux<br />

éléments (<strong>la</strong> mer) et aux bêtes fabuleuses (les<br />

cachalots), qui permettait au commentaire de<br />

A voir / A lire<br />

cinemadureel.org<br />

D’Arnaud Lambert : Also Known as<br />

Chris Marker, Le Point du Jour Editeur, 2008.<br />

cnc.fr/idc :<br />

L’Art au monde des ténèbres,<br />

de Mario Ruspoli, 1983, 4 x 52'.<br />

De Chris Marker : A bientôt, j’espère, 1967, 44' ;<br />

Le Fond de l’air est rouge, 1977, 180'; AK, 1985,<br />

71' ; Le Tombeau d’Alexandre, 1993, 120' ;<br />

Une Journée d’Andrei Arsenevitch (Cinéma,<br />

de notre temps), 1999, 56'.<br />

Les Hommes de <strong>la</strong> baleine<br />

1958, 24', couleur, documentaire<br />

réalisation : Mario Ruspoli<br />

production : Argos Films, Les Films Armorial<br />

Au milieu des années 1950, Mario Ruspoli<br />

s’embarque avec les pêcheurs de cachalot<br />

des Açores, les derniers à pratiquer <strong>la</strong> pêche<br />

au harpon <strong>la</strong>ncé à <strong>la</strong> main depuis de frêles<br />

chaloupes. “La corrida des mers” qui<br />

se déroule sous nos yeux est un morceau<br />

de bravoure inoubliable. Sa cruauté, que rien<br />

n’efface, est modérée par <strong>la</strong> description<br />

du mode de vie qui l’entoure, gestes<br />

et coutumes voués à <strong>la</strong> disparition.<br />

Le film de Mario Ruspoli appartient à un autre<br />

temps. Temps héroïque du documentaire<br />

comme du rapport de l’homme à <strong>la</strong> nature.<br />

Vieil art du conte, où <strong>la</strong> voix qui commente<br />

les images rivalise avec le chant des marins.<br />

Comment ne pas se <strong>la</strong>isser prendre<br />

par une telle aventure ? Certes nous avons<br />

appris à aimer les baleines, Moby Dick<br />

ne nous effraie plus comme autrefois.<br />

Mais ici le corps immense du cétacé<br />

que l’on dépèce sur un quai, et qui, sans <strong>la</strong>isser<br />

de reste, sera changé en huile, en poudre,<br />

en engrais, en nourriture, en cosmétique,<br />

a des allures de cochon de ferme.<br />

Toute vie dépend de cette unique ressource.<br />

Tout destin s’accomplit autour de ce sacrifice.<br />

La hardiesse et l’ingéniosité de l’homme,<br />

cet insecte féroce accroché au dos<br />

de <strong>la</strong> nature, capable de toutes les conquêtes,<br />

<strong>la</strong>issent songeur. Quatorze ans plus tard,<br />

en compagnie de Chris Marker, Ruspoli<br />

réalisera Vive <strong>la</strong> baleine (1972), ode à <strong>la</strong> bête<br />

légendaire, virulent pamphlet contre<br />

le massacre dont elle est victime. S.M.<br />

Vive <strong>la</strong> baleine<br />

1972, 16', couleur, documentaire<br />

réalisation : Mario Ruspoli<br />

production : Argos Films<br />

Quatorze ans après Les Hommes de <strong>la</strong> baleine,<br />

remarquable documentaire sur <strong>la</strong> pêche<br />

au cachalot aux Açores, Mario Ruspoli réalise<br />

avec Chris Marker (accrédité au générique<br />

à <strong>la</strong> mention “vivats”), Vive <strong>la</strong> baleine, une ode<br />

à l’animal légendaire. C’est ici <strong>la</strong> baleine<br />

qui raconte son histoire, dénonçant, à travers<br />

plusieurs siècles d’illustrations, l’acharnement<br />

dont elle est victime, condamnation sans appel<br />

de <strong>la</strong> cruauté de l’homme.<br />

Entre Les Hommes de <strong>la</strong> baleine<br />

et Vive <strong>la</strong> baleine, les mentalités ont évolué.<br />

L’écologie a fait son apparition, l’esprit<br />

de lutte de 1968 également. Nous passons<br />

ainsi du film ethnographique, où l’homme<br />

et <strong>la</strong> nature étaient traités sur un p<strong>la</strong>n<br />

d’égalité, au pamphlet incisif, proche<br />

de l’esthétique du tract, dénonçant le sort<br />

que le monde capitaliste réserve à <strong>la</strong> nature.<br />

La puissance coloniale des Etats se mesurait<br />

autrefois au nombre de baleiniers,<br />

et l’invention du canon-harpon a transformé<br />

<strong>la</strong> pêche en massacre industriel.<br />

Esthétique du tract aussi parce que le film<br />

fait abondamment appel à une iconographie<br />

tirée de <strong>la</strong> peinture ou de l’image imprimée.<br />

Un tract poétique toutefois, où l’on sent<br />

<strong>la</strong> griffe de Chris Marker, son empathie<br />

pour les animaux, son goût borgésien<br />

de l’imaginaire. La douce voix de <strong>la</strong> baleine<br />

nous emmène aux confins du conte<br />

et du programme pour enfants, et malgré<br />

sa terrible histoire, <strong>la</strong> fascination<br />

pour <strong>la</strong> créature merveilleuse finit bien<br />

par l’emporter. S.M.<br />

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