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epstein samplé<br />

Au sommet de sa carrière, Jean Epstein rompt avec l’industrie du cinéma parisienne<br />

et choisit de filmer en Bretagne. Avec une liberté esthétique qui nous émeut encore aujourd’hui,<br />

il y réalise certains de ses films les plus intenses, tournés vers <strong>la</strong> beauté des éléments<br />

océaniques, et <strong>la</strong> force, l’intensité des hommes qui travaillent avec <strong>la</strong> mer. James Schneider<br />

est musicien et cinéaste américain. Installé en France depuis 1998, il a poursuivi des études<br />

de philosophie sous <strong>la</strong> direction de Jacques Rancière et René Schérer ; il n’est pas étonnant<br />

qu’il se soit intéressé à l’œuvre d’un cinéaste aussi novateur qu’Epstein dans le documentaire<br />

qu’il lui consacre, Young Oceans of Cinema. Par Carole Desbarats.<br />

Jean Epstein est un cinéaste trop peu ou mal<br />

connu. Quand on apprécie ses longs métrages<br />

de fiction (Cœur fidèle, 1923, celui de ses films<br />

qu’il disait préférer ; La Chute de <strong>la</strong> maison<br />

Usher, 1928, adapté d’Edgar Poe, entre autres),<br />

on ignore souvent sa période bretonne ou ses<br />

importants textes théoriques, par exemple<br />

celui qu’il a consacré au cinéma, L’intelligence<br />

d’une machine et qui date de 1946.<br />

Pourtant, l’œuvre de ce français né en Pologne<br />

en 1897 et mort à Paris en 1953 a de quoi marquer.<br />

Tout d’abord, parce qu’Epstein adopte <strong>la</strong><br />

démarche d’un précurseur : comme le feront<br />

des dizaines d’années plus tard les jeunes Turcs<br />

de <strong>la</strong> Nouvelle Vague, dans un premier temps il<br />

pratique <strong>la</strong> cinéphilie et l’écriture théorique ;<br />

ensuite seulement, il tourne. Ainsi, son texte<br />

Bonjour cinéma précède d’un an un premier film,<br />

Pasteur (1922), que suivent des films reconnus<br />

tirés d’adaptations de Balzac, Daudet, Sand,<br />

Poe, avec par exemple L’Auberge rouge en 1923<br />

et Finis Terrae en 1929. La Bretagne déjà.<br />

Au vu de l’importance de <strong>la</strong> matière bretonne<br />

dans l’œuvre d’Epstein, et d’un évident refus<br />

du pittoresque, on peut se demander si cette<br />

thématique ne lui permettait pas, soit de réaliser<br />

du documentaire social, soit simplement<br />

de tourner le dos à <strong>la</strong> fiction traditionnelle en<br />

filmant des non-professionnels, par<strong>la</strong>nt breton.<br />

En fait, le projet était probablement moins<br />

théorisé, plus senti : Epstein a aimé ces roches,<br />

ces vagues, <strong>la</strong> puissance des hommes qui les<br />

affrontent et dont il a su voir les difficultés. Du<br />

coup, libéré de certaines des contraintes du<br />

récit fictionné, il s’est alors livré pendant cette<br />

période à des recherches novatrices aussi bien<br />

sur le p<strong>la</strong>n visuel que sonore, ce qui est plus<br />

rare. Certes, il n’a pas tout inventé : à Paris,<br />

pendant le premier quart du XXe siècle, Epstein<br />

avait été très proche de cinéastes soucieux de<br />

forme et de narration, Gance, Delluc, L’Herbier,<br />

avec qui il avait partagé ces expérimentations.<br />

N’avait-il pas choisi Luis Buñuel comme assistant<br />

pour le tournage de Cœur fidèle ?<br />

Mais probablement <strong>la</strong> démarche bretonne<br />

est-elle particulière et l’on comprend que<br />

Schneider s’y intéresse. Filmer <strong>la</strong> mer, les<br />

amers, le ciel, c’est à <strong>la</strong> fois re-présenter <strong>la</strong><br />

beauté mais c’est aussi creuser un espace de<br />

sens particulier : sans cesse renouvelée comme<br />

le dit <strong>la</strong> chanson, <strong>la</strong> mer abrite, meurtrit et<br />

nourrit ces hommes qu’Epstein filme, et dont<br />

Schneider va rechercher les traces.<br />

Pour ce<strong>la</strong>, il retourne sur les lieux des tournages<br />

du siècle dernier, et va jusqu’à reproduire<br />

les cadrages du cinéaste. Il les met en valeur<br />

par un format plus <strong>la</strong>rge, ce qui permet, en<br />

jouant en plus de <strong>la</strong> différence entre noir et<br />

b<strong>la</strong>nc d’époque et couleur d’aujourd’hui, d’apprécier<br />

à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> précision du cadrage d’Epstein<br />

et <strong>la</strong> pérennité (de <strong>la</strong> roche bretonne) des paysages<br />

bretons. Schneider s’autorise juste<br />

alors de retravailler <strong>la</strong> bande son : par une<br />

accélération des sons jouée en contrepoint de<br />

l’image, il va lui aussi, à l’instar d’Epstein, audelà<br />

du réalisme.<br />

Pour éc<strong>la</strong>irer le projet d’Epstein, Schneider<br />

filme de multiples citations très graphiques<br />

parce que dactylographiées. La première mise<br />

en exergue nous alerte d’emblée sur l’ambition<br />

cinématographique d’Epstein : “Des lentilles<br />

peuvent donc capter, des écrans reproduire<br />

des aspects de l’univers non encore compris<br />

par l’homme. Tout un monde nouveau s’ouvre<br />

à cet étonnement, cette admiration, cette<br />

connaissance par amour, qui sont acquis par<br />

le regard.”<br />

Outre ces références aux écrits du réalisateur,<br />

le témoignage de Mary Epstein, qui s’est <strong>la</strong>rgement<br />

consacrée à mettre en valeur l’œuvre de<br />

son frère, apporte beaucoup sur le rapport<br />

passionnel que le cinéaste entretient avec <strong>la</strong><br />

Bretagne. Dans des extraits du film Jean<br />

Epstein – Termaji de Mado Le Gall (1997), quand<br />

elle évoque <strong>la</strong> préparation des tournages et le<br />

rôle de chacun, elle nous permet de comprendre<br />

l’importance des “modèles” bretons, le type de<br />

rapport de travail que le cinéaste entretenait<br />

avec ces travailleurs de <strong>la</strong> mer qui n’étaient<br />

pas des professionnels du cinéma.<br />

Par ailleurs, Schneider choisit de mettre en<br />

valeur les interventions dans lesquelles elle<br />

s’exprime sur l’attitude de son frère pendant <strong>la</strong><br />

Deuxième Guerre mondiale. Et ce n’est pas<br />

rien : Epstein n’aura pas été un esthète détaché<br />

des réalités du monde et des souffrances de<br />

ses contemporains. Il a eu <strong>la</strong> force d’afficher<br />

des sentiments antinazis, marqués à <strong>la</strong> fois<br />

par ses liens avec <strong>la</strong> CGT et Ciné Liberté, depuis<br />

1936. Il a été spolié de ses biens en 1940 et<br />

Mary Epstein rappelle que, bien que portant<br />

un nom à consonance sémite, “par sentiment<br />

de décence, il n’avait pas demandé de certificat<br />

de non-appartenance à <strong>la</strong> race juive”. Ce courage<br />

rend toute sa force à sa recherche du<br />

Beau et l’éloigne d’un esthétisme éthéré ou<br />

égocentré. Mary insiste à juste titre sur <strong>la</strong><br />

caractéristique essentielle de l’œuvre de son<br />

frère : <strong>la</strong> compréhension du monde par l’intelligence<br />

et par le cœur, intention que l’on peut<br />

mettre en re<strong>la</strong>tion avec son désir de conserver<br />

l’importance et du sens et de <strong>la</strong> forme.<br />

Bien sûr, on peut regretter que quelques-unes<br />

des images de <strong>la</strong> Bretagne touristique d’aujourd’hui<br />

filmées par Schneider viennent, par<br />

leur manque d’enjeu cinématographique, diminuer<br />

<strong>la</strong> force de son documentaire mais, l’essentiel<br />

n’est pas là, mieux vaut s’intéresser à<br />

son travail sonore – qu’il inscrit dans les pas<br />

d’Epstein : Young Oceans of Cinema mérite<br />

d’être écouté avec attention. On y retrouve une<br />

matière acoustique que le cinéma nous donne<br />

trop rarement à apprécier. Il faut rappeler que<br />

James Schneider, sous le nom de Matterlink<br />

depuis 2002, donne des concerts de vampling,<br />

performance de sampling de vidéos avec leur<br />

son, et qu’il partage certainement avec Epstein<br />

des préoccupations graphiques, nourries par le<br />

sens des œuvres. Le réalisateur de Finis terrae<br />

44 images de <strong>la</strong> culture

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