colloque sur la prudence. - Académie des sciences morales et ...
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ajoute <strong>la</strong> dimension de l'expérience concrète sans <strong>la</strong>quelle il n'y aurait pas de<br />
médecine mais seulement une science abstraite. Comme le dit encore<br />
Aristote, « ce qu'il faut guérir, c'est l'individu » 154 . Autrement dit, le médecin<br />
ne soigne pas une ma<strong>la</strong>die, pas même « le » ma<strong>la</strong>de, mais tel ma<strong>la</strong>de bien<br />
précis, une personne humaine unique <strong>et</strong> insubstituable.<br />
À partir de là, on doit constater que <strong>la</strong> vertu du médecin correspond<br />
point par point à tout ce qui caractérise <strong>la</strong> phronèsis.<br />
Certes, à <strong>la</strong> différence <strong>des</strong> vertus dites « <strong>morales</strong> », qui relèvent<br />
seulement de l'ordre <strong>des</strong> habitus, <strong>la</strong> phronèsis est une vertu<br />
« intellectuelle » — dianoétique, dit Aristote. Mais leur rapprochement est<br />
cependant rendu possible par leur commun statut de vertu. La phronèsis est<br />
en eff<strong>et</strong> une héxis, c'est-à-dire un état habituel qui perm<strong>et</strong> d'assumer une<br />
tâche, donc de guider l'action à l'aide de <strong>la</strong> raison pratique. Elle se sépare<br />
donc radicalement de <strong>la</strong> sagesse (sophia) au sens c<strong>la</strong>ssique du terme, qui est<br />
p<strong>la</strong>cée tout entière sous <strong>la</strong> gouverne de <strong>la</strong> raison théorique, celle qui se situe<br />
dans le domaine du vrai <strong>et</strong> du faux, celle qui fait accéder le sage à un genre de<br />
connaissance inaccessible au commun <strong>des</strong> mortels. Alors que <strong>la</strong> phronèsis<br />
est une disposition à l'action, accompagnée de « règle vraie », orientée vers<br />
un bien proprement humain, dans un champ où règne <strong>la</strong> contingence <strong>et</strong> non<br />
<strong>la</strong> nécessité. La phronèsis perm<strong>et</strong> ainsi de fondre ensemble <strong>la</strong> quête de vérité,<br />
par sa dimension intellectuelle, <strong>et</strong> <strong>la</strong> quête de rectitude, par son inscription<br />
dans l'action pratique. Et bien loin de se contenter de prôner <strong>des</strong> fins<br />
hautement <strong>morales</strong>, comme on le fait si souvent quand on combine<br />
indignation, vœux pieux <strong>et</strong> formules incantatoires, <strong>la</strong> phronèsis se consacre<br />
entièrement aux moyens de l'action qui perm<strong>et</strong> de viser le bien de l'homme.<br />
Ce qui implique nécessairement <strong>la</strong> présence du désir à titre de moteur,<br />
autrement on ne verrait pas pourquoi on déploie tant d'énergie à se m<strong>et</strong>tre<br />
au service du bien d'autrui.<br />
Que fait donc le médecin ? Il ne se préoccupe pas d'abord <strong>et</strong> avant<br />
tout de recherche scientifique (ou alors il se fait recruter à l'Inserm). Il est<br />
devenu médecin porté par le désir de soigner les gens <strong>et</strong> pas seulement par ce<br />
désir de savoir que Freud liait à <strong>la</strong> pulsion « épistémophilique »,<br />
combinaison <strong>des</strong> pulsions scopique <strong>et</strong> de maîtrise. En soignant quelqu'un, le<br />
médecin allie le « quelque », qui désigne <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse de pathologie dont il a<br />
connaissance, <strong>et</strong> le « un » qui caractérise <strong>la</strong> personne singulière. Tout ce<strong>la</strong> en<br />
154 Idem, 981 a 5-30.<br />
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