colloque sur la prudence. - Académie des sciences morales et ...
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Bref, il y a un arbitraire fondamental à l‘origine de tout pouvoir, rien<br />
ne vient le légitimer a priori. Aussi, <strong>la</strong> fondation d‘un État ne tire sa<br />
légitimité que du fiat qui l‘institue, de <strong>la</strong> décision toujours illégitimable qui le<br />
crée, seules capables de faire émerger quelque chose depuis ce rien, ce néant<br />
de légitimité. Toute référence à un ordre transcendant s‘efface au profit de <strong>la</strong><br />
seule réalité immanente de <strong>la</strong> conquête <strong>et</strong> de <strong>la</strong> conservation, au sein de<br />
<strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> politique devient sa propre me<strong>sur</strong>e. Nulle nature qui<br />
fonctionnerait comme idéal : il ne peut y avoir de norme universelle de <strong>la</strong><br />
virtù, précisément parce que son domaine est celui <strong>des</strong> choses soumises au<br />
mouvement. Rien qui subsiste dans une permanence as<strong>sur</strong>ée, qui serait<br />
garantie ou stabilisée par <strong>la</strong> nature ou <strong>la</strong> Providence. Du coup, l‘impératif<br />
catégorique de <strong>la</strong> politique machiavélienne peut s‘énoncer comme suit :<br />
« Agis toujours de façon à considérer ton action comme précaire dans un<br />
univers de précarité » 173 , fragilité de <strong>la</strong> politique dans un monde de pure<br />
immanence qui rend d‘autant plus nécessaire <strong>la</strong> mise en oeuvre d‘une<br />
<strong>prudence</strong> politique.<br />
Le réel n‘est ainsi plus conçu comme l‘espace harmonieux où se<br />
déploient <strong>des</strong> vertus, mais comme le théâtre d‘un affrontement permanent.<br />
Ce<strong>la</strong> signifie que <strong>la</strong> politique a à s‘exercer au sein d‘une réalité chaotique <strong>et</strong><br />
instable, <strong>et</strong> Machiavel <strong>la</strong> nomme fortune. Une désubstantialisation du<br />
concept de fortune est donc requise afin de pouvoir dénaturaliser <strong>la</strong><br />
conception de <strong>la</strong> politique <strong>et</strong> constituer une ontologie politique spécifique.<br />
Celle-ci passe par <strong>la</strong> subversion de <strong>la</strong> notion c<strong>la</strong>ssique <strong>et</strong> chrétienne de<br />
fortune qui, de <strong>des</strong>tin inexorable ou de p<strong>la</strong>n providentiel substantiel, en vient<br />
à simplement désigner <strong>la</strong> finitude indépassable de l‘homme <strong>et</strong> <strong>la</strong> contingence<br />
irréductible de l‘histoire – condition <strong>et</strong> limite à <strong>la</strong> fois de toute action<br />
politique.<br />
Dans c<strong>et</strong>te perspective, c‘est <strong>la</strong> conjoncture particulière qui va<br />
déterminer l‘action du politique, <strong>et</strong> par là sa virtù comme intelligence<br />
pratique de <strong>la</strong> fortune, compréhension <strong>et</strong> adaptation à ce que <strong>la</strong><br />
configuration singulière <strong>des</strong> circonstances requiert. L‘action politique n‘a en<br />
définitive de valeur, comme l‘illustrent les différents usages possibles de <strong>la</strong><br />
cruauté, qu‘inscrite dans un moment historique <strong>et</strong> en fonction <strong>des</strong> enjeux de<br />
celui-ci.<br />
Par où l‘on touche au problème crucial de <strong>la</strong> temporalité politique,<br />
173 Cf. Gérald SFEZ, Le Prince sans qualités, Paris, Kimé, 1998.<br />
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