colloque sur la prudence. - Académie des sciences morales et ...
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vue du bien de c<strong>et</strong>te dernière. Et comme il est impossible à <strong>la</strong> médecine<br />
d'exister concrètement sans re<strong>la</strong>tion interhumaine d'un médecin <strong>et</strong> d'un<br />
patient, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion soignante est indissociablement une re<strong>la</strong>tion éthique.<br />
Ensuite, confronté à c<strong>et</strong>te même personne accablée par un pâtir<br />
quelconque, quel qu'il soit, même imaginaire, le médecin intervient à titre de<br />
médiateur, <strong>la</strong>téralement, obliquement, si possible provisoirement, dans un<br />
processus régi par <strong>la</strong> phusis (nature vivante <strong>et</strong> croissante) du patient. Il<br />
participe ainsi du caractère médiateur de <strong>la</strong> phronèsis, comme le signale<br />
d'ailleurs le radical indo-européen « Med », qui a donné non seulement<br />
« médecine », mais aussi « médiation », « méditation » <strong>et</strong> « remède ».<br />
Il est vrai que <strong>la</strong> tékhnè a son principe à l'extérieur de soi, tandis que<br />
<strong>la</strong> nature ou plutôt <strong>la</strong> phusis du ma<strong>la</strong>de a son principe à l'intérieur. Mais<br />
c<strong>et</strong>te différence souligne le fait que toute guérison revient à un<br />
rétablissement re<strong>la</strong>tif de <strong>la</strong> phusis elle-même, voire par elle-même (d'où<br />
l'idée de natura medicatrix). La tékhnè, dit aussi Aristote, « achève ce que <strong>la</strong><br />
nature n'a pu mener à bien » 155 . En médecine, elle est donc un pouvoir de<br />
naturaliser voire de renaturer <strong>la</strong> nature, quitte à user de prothèses pour<br />
compenser ses manques. Mais plutôt que de parler de nature en général il<br />
faudrait parler de « telle » nature, comme le faisait Hippocrate qui, à propos<br />
<strong>des</strong> patients, par<strong>la</strong>it <strong>des</strong> natures au pluriel. Ce qui correspond parfaitement à<br />
<strong>la</strong> phronèsis, vouée à <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité <strong>et</strong> à <strong>la</strong> contingence <strong>des</strong> situations.<br />
Dans ces conditions, le moment essentiel de <strong>la</strong> phronèsis, qui est <strong>la</strong><br />
délibération, constitue un épisode crucial de l'activité médicale. On y<br />
r<strong>et</strong>rouve le lien entre <strong>la</strong> connaissance <strong>et</strong> l'action puisqu'il faut effectuer un<br />
diagnostic, envisager une thérapeutique, ém<strong>et</strong>tre un pronostic. L'intellect, le<br />
désir <strong>et</strong> <strong>la</strong> liberté entrent ici en combinaison, mais dans le cadre du<br />
raisonnable <strong>et</strong> non dans celui du rationnel à l'état pur, séparé de l'action.<br />
Étant p<strong>la</strong>cé dans un contexte d'incertitude re<strong>la</strong>tive, pour cause de<br />
contingence, il faut peser le pour <strong>et</strong> le contre avant d'aboutir à une décision,<br />
marque décisive de l'action, sachant que décider de ne rien faire, en<br />
médecine, est encore action médicale <strong>et</strong> non désertion. D'où le principe bien<br />
connu : primum non nocere.<br />
Au point de vue du genre de savoir que le médecin mobilise pour<br />
décider, on r<strong>et</strong>rouve un élément caractéristique de <strong>la</strong> phronèsis, à savoir que<br />
<strong>la</strong> rigueur qu'elle requiert est bien différente de l'exactitude du<br />
155 Aristote, Physique, II, 8, 199 a 15-17, trad. J. Aubonn<strong>et</strong>, Paris, Belles L<strong>et</strong>tres, 1960..<br />
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