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Dans la grande maison Wilmot sur East Birch Street, juste<br />
derrière la porte de l’entrée, tu trouveras ce qui ressemble à des<br />
graffitis. Ton épouse, elle est en train de traîner son butin sous<br />
oreiller quand elle les aperçoit – quelques mots gribouillés sur<br />
l’arrière de la porte de l’entrée. Les traces de crayon à papier, les<br />
noms et les dates sur la peinture blanche. Démarrant à hauteur<br />
de genoux, on aperçoit de petites lignes sombres et, sur chaque<br />
ligne, un nom et un numéro.<br />
Tabbi, âge cinq ans.<br />
Tabbi, qui a aujourd’hui douze ans et des rhytides<br />
palpébrales latérales autour des yeux à force de pleurer.<br />
Ou : Peter, âge sept ans.<br />
C’est toi, ça, âge sept ans. Le petit Peter Wilmot.<br />
Un air de déjà-vu ?<br />
Ça te rappelle quelque chose ?<br />
Ces lignes de crayon, la crête d’une marée haute. Les années<br />
1795… 1850… 1979… 2003. Les anciens crayons étaient de<br />
minces bâtonnets de cire mélangée à de la suie et enveloppés de<br />
ficelle pour éviter de se salir les mains. Avant cela, il n’y a que<br />
des encoches et des initiales creusées dans le bois épais et la<br />
peinture blanche de la porte.<br />
Certains parmi les autres noms à l’arrière de la porte, tu ne<br />
les reconnaîtras pas. Herbert, Caroline, Edna, des tas<br />
d’inconnus qui ont vécu ici, y ont grandi et sont disparus.<br />
D’abord bébés, puis enfants, adolescents, adultes, puis morts.<br />
Ton lignage, ta famille, mais des inconnus néanmoins. Ton<br />
héritage. Disparu mais pas disparu. Oublié mais toujours là,<br />
attendant d’être redécouvert.<br />
Ta pauvre épouse, elle est là, debout, juste à l’intérieur de la<br />
porte d’entrée, elle regarde les noms et les dates une toute<br />
dernière fois. Son propre nom ne se trouvant pas parmi eux.<br />
Pauvre Misty Marie, née pauvre parmi les pauvres Blancs, avec<br />
ses mains rougeâtres pleines de marques et la peau de son crâne<br />
rose qui se voit sous ses cheveux.<br />
Toute cette histoire et cette tradition dont elle pensait jadis<br />
qu’elles la garderaient en sécurité. L’isoleraient du reste, à<br />
jamais.<br />
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