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A 9 heures pi<strong>le</strong>, il reçoit <strong>le</strong> Premier ministre. Ce dernier a, entre <strong>le</strong>s mains, deux ou trois<br />
dossiers relatifs à des affaires de routine qui ne méritaient pas d’être soumises à la haute<br />
attention du chef de l’Etat. En dehors des salama<strong>le</strong>cs habituels, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’a rien d’intéressant<br />
à dire. Bourguiba ne <strong>le</strong> retient pas.<br />
Soudain, et juste après <strong>le</strong> départ de son hôte, Bourguiba a comme une lueur de raison.<br />
Pourquoi donc ce Saint-Cyrien n’a jamais fait entendre sa voix ni à la radio ni à la télévision?<br />
"On verra cela demain", se dit-il.<br />
Une fois seul, Bourguiba sonne sa nièce et Mahmoud Belhassine. Il <strong>le</strong>ur pose la question qu’il<br />
voulait poser à <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>. Prudente, Sassi se tait. Belhassine, au contraire, en fait tout un plat. Il<br />
révè<strong>le</strong> à son maître la médiocre aptitude du Premier ministre dans <strong>le</strong> domaine de la paro<strong>le</strong>. Il<br />
n’a ni niveau d’instruction, ni niveau social, ni entregent, lui dit-il. Après lui avoir expliqué en<br />
quoi a consisté sa formation rapide à Saint-Cyr, il conclut que l’intéressé, juste capab<strong>le</strong><br />
d’utiliser un révolver, est inapte au discours ordonné, méthodiquement développé et sans<br />
faute de langage.<br />
Bourguiba est surpris. Il se sent responsab<strong>le</strong> du mauvais choix. Il est bou<strong>le</strong>versé à l’idée qu’un<br />
militaire ignare va pouvoir constitutionnel<strong>le</strong>ment lui succéder.<br />
Mardi 3 novembre<br />
Contrairement à son habitude, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> arrive à Carthage à 9 heures juste. Volontairement, il a<br />
évité de siroter un café dans <strong>le</strong> bureau de Belhassine. Rien ne liait <strong>le</strong>s deux hommes en dehors<br />
d’un bavardage quotidien autour d’un express bien serré. C’est que, entre-temps, Saïda Sassi a<br />
fait son travail.<br />
Immédiatement reçu par Bourguiba, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> quitte <strong>le</strong> bureau présidentiel un quart d’heure<br />
plus tard, <strong>le</strong> visage violacé. Il venait, en effet, d’être humilié par <strong>le</strong> chef de l’Etat. Bourguiba a<br />
posé tout de go à <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> la question qui <strong>le</strong> tracassait depuis la veil<strong>le</strong>. Surpris, <strong>le</strong> Premier<br />
ministre bafouil<strong>le</strong>. "En vous nommant Premier ministre <strong>le</strong> mois dernier, je pensais avoir<br />
affaire à un vrai Saint-Cyrien. Or, je viens d’apprendre que vous êtes juste bon pour <strong>le</strong> galon<br />
de laine de caporal." Ces deux phrases ponctuées de marmonnements hosti<strong>le</strong>s, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> <strong>le</strong>s a<br />
reçues comme des pierres lancées à son visage.<br />
Sur un ton devenu plus conciliant, Bourguiba recommande à son hôte avant de <strong>le</strong> libérer de<br />
dire de temps à autre quelque chose à la télévision afin de rassurer l’opinion et tranquilliser<br />
<strong>le</strong>s citoyens.<br />
Dans l’un des couloirs du palais présidentiel, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> couvre Belhassine d’invectives et de<br />
menaces. L’autre n’est pas désarçonné. Il débite à son tour toutes <strong>le</strong>s grossièretés dont est<br />
capab<strong>le</strong> un gavroche de Bab Souika, lui confirme qu’il est à l’origine de son récent<br />
désappointement et conclut par ces mots: "Tu n’es qu’un fétu de pail<strong>le</strong>, un nullard, un<br />
minab<strong>le</strong>, un fruit-sec-bac-moins-trois. Quant à ces menaces, tu pourras en faire un trou dans<br />
l’eau".<br />
<strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’insiste pas. Il se dépêche de quitter <strong>le</strong>s lieux, la queue basse. Saïda <strong>le</strong> rejoint. El<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />
conso<strong>le</strong> et <strong>le</strong> rassure. "Vous n’avez rien à craindre. Je connais bien mon onc<strong>le</strong>. Je <strong>le</strong> ferai<br />
changer d’avis", lui dit-el<strong>le</strong>.<br />
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