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Introduction<br />
"L’espérance de vie d’un Tunisien est de… deux présidents et demi". Cette boutade attribuée<br />
au poète Sghaier Ou<strong>le</strong>d Ahmed ironise sur l’immobilisme de la scène politique tunisienne,<br />
marquée depuis l’indépendance du pays en 1956, par deux présidences, cel<strong>le</strong> d’Habib<br />
Bourguiba, qui a duré 30 ans, de 1957 à 1987, et cel<strong>le</strong> de Zine El Abidine <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, qui promet<br />
de durer encore autant sinon davantage. Car si l’on en juge par ses manœuvres pour faire <strong>le</strong><br />
vide politique dans <strong>le</strong> pays et assurer ainsi son maintien à la tête de l’Etat au-delà de toute<br />
limite, ce dernier semb<strong>le</strong> en effet bien parti pour dépasser <strong>le</strong> record de longévité de son<br />
prédécesseur.<br />
Aujourd’hui âgé de 74 ans, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> a déjà rempilé, en octobre 2009, pour un cinquième<br />
mandat de cinq ans, à l’issue d’une énième mascarade é<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong> montée et mise en scène par<br />
ses services. Ce mandat, qui devrait être constitutionnel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> dernier, annonce déjà, aux<br />
yeux des Tunisiens, habitués aux amendements constitutionnels et aux tripatouillages<br />
é<strong>le</strong>ctoraux, un sixième, en 2014, qui amènera <strong>le</strong> président sortant – à moins d’une catastrophe<br />
nationa<strong>le</strong> – jusqu’en 2019. <strong>Ben</strong> Avi – joli sobriquet dont <strong>le</strong>s Tunisiens affub<strong>le</strong>nt désormais<br />
<strong>le</strong>ur président – aura alors, avec l’aide de Dieu, dépassé 83 ans. Il aura aussi, en trente-deux<br />
ans de règne sans partage, enterré <strong>le</strong> rêve de transition démocratique caressé par plusieurs<br />
générations de Tunisiens et de Tunisiennes, condamnés à subir indéfiniment <strong>le</strong>s abus et<br />
distorsions d’un système politique archaïque, mélange d’autoritarisme, d’affairisme et de<br />
voyoucratie.<br />
On sait comment Bourguiba a pu se maintenir aussi longtemps au pouvoir. Leader<br />
nationaliste, il a conduit son peup<strong>le</strong> à l’indépendance au terme d’un combat marqué par<br />
plusieurs arrestations, emprisonnements et éloignements. Celui que ses compatriotes<br />
appelaient <strong>le</strong> Combattant Suprême a eu <strong>le</strong> mérite de mettre <strong>le</strong>s bases d’un Etat moderne et<br />
d’initier, souvent dans l’adversité, de grandes réformes politiques et socia<strong>le</strong>s: abolition de la<br />
monarchie, proclamation de la République, vite transformée en autocratie comme on <strong>le</strong> verra<br />
plus loin, promulgation d’une constitution moderne, émancipation de la femme, généralisation<br />
de l’enseignement, etc. Ce sont autant d’actes fondateurs, souvent audacieux qui ont renforcé<br />
sa légitimité historique et façonné la Tunisie contemporaine, qu’ils ont dotée des attributs de<br />
la souveraineté, de l’authenticité et de l’ouverture sur <strong>le</strong> monde.<br />
Rattrapé par l’âge, miné par la maladie et trompé par une cour aussi obséquieuse<br />
qu’intéressée, et qui se battait déjà pour sa succession, <strong>le</strong> premier président de la République<br />
Tunisienne a eu cependant la faib<strong>le</strong>sse de se croire au-dessus des lois et des institutions. C’est<br />
ainsi que, dès <strong>le</strong>s premières années de son règne, il a fait taire toutes <strong>le</strong>s voix discordantes,<br />
interdit <strong>le</strong>s partis politiques, verrouillé <strong>le</strong> champ public et imposé un contrô<strong>le</strong> strict sur <strong>le</strong>s<br />
médias. Conséquence : pour ses compatriotes, l’indépendance – si chèrement acquise – n’a<br />
fina<strong>le</strong>ment pas élargi <strong>le</strong> champ des libertés. Au contraire, plus <strong>le</strong> nouveau pouvoir –<br />
pompeusement appelé républicain – se renforçait dans <strong>le</strong> pays, plus ces derniers se voyaient<br />
dé<strong>le</strong>ster de certains droits dont ils bénéficiaient pourtant sous <strong>le</strong> régime du protectorat, comme<br />
celui d’exprimer une opinion différente, de fonder un parti, de créer un syndicat, de publier un<br />
journal ou de s’organiser en association, sans avoir à quémander une hypothétique<br />
autorisation du ministère de l’Intérieur, comme <strong>le</strong> stipu<strong>le</strong> aujourd’hui <strong>le</strong>s lois de la République<br />
Tunisienne.<br />
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