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immédiatement sanctionnée. Car <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, qui veut rester seul sur scène, n’accepte pas que ses<br />
obligés laissent transparaître la moindre intention de pousser <strong>le</strong>ur avantage.<br />
Ces derniers ont d’ail<strong>le</strong>urs retenu la <strong>le</strong>çon, d’autant que cette position de retrait <strong>le</strong>ur convient à<br />
merveil<strong>le</strong>. D’abord parce qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur permet de préserver <strong>le</strong>ur poste et, donc, de rester en<br />
sel<strong>le</strong> et, pour ainsi dire, en réserve de la république. Car on ne sait jamais: un événement<br />
imprévisib<strong>le</strong> pourrait accélérer <strong>le</strong> changement et il vaudrait mieux, dans ce cas, être dans <strong>le</strong><br />
sérail qu’à sa périphérie. Ensuite, cette position est propice, pour ainsi dire, aux prises de<br />
bénéfices: plus on reste dans <strong>le</strong> circuit plus on se donne des possibilités pour amasser des<br />
prébendes et des privilèges pour soi-même et pour ses proches. Enfin, en s’effaçant sans cesse<br />
et en se présentant comme de simp<strong>le</strong>s exécutants des volontés du chef de l’Etat, des sortes de<br />
factotums de haut rang, <strong>le</strong>s ministres de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> déclinent toute responsabilité personnel<strong>le</strong><br />
dans <strong>le</strong>s abus, injustices et errements qui pourraient être, un jour, reprochés au régime.<br />
De ce point de vue, M. <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, dans sa propension à accaparer tous <strong>le</strong>s <strong>le</strong>viers de la décision,<br />
se fait fina<strong>le</strong>ment piéger lui-même. Car en s’attribuant la totalité des réussites (réel<strong>le</strong>s ou<br />
prétendues) des politiques mises en route par <strong>le</strong> gouvernement qu’il dirige – ses médias<br />
mettent d’ail<strong>le</strong>urs un honneur à <strong>le</strong> répéter tous <strong>le</strong>s jours que Dieu fait –, il hérite aussi, dans <strong>le</strong><br />
même package, des responsabilités des échecs éventuels de ces politiques et <strong>le</strong> <strong>le</strong>urs ratés, et,<br />
du coup, en exonère <strong>le</strong>s autres membres du gouvernement.<br />
Le vide politique en Tunisie n’est donc pas une réalité caractéristique du pays. Il est la<br />
conséquence d’une politique et la marque d’un système qui tient en suspicion <strong>le</strong>s compétences<br />
et marginalise <strong>le</strong>s plus brillants de ses enfants, surtout ceux qui rejettent la politique<br />
d’abêtissement général qu’infligent généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s dictatures aux peup<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>s tiennent<br />
en laisse.<br />
Ce vide politique ne caractérise pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> gouvernement, on <strong>le</strong> retrouve aussi dans tous<br />
<strong>le</strong>s aspects de la vie publique, la méthode de nivel<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong> bas étant appliquée aussi dans<br />
l’administration, l’université, la culture, <strong>le</strong>s organisations nationa<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s corporations<br />
professionnel<strong>le</strong>s. Partout, <strong>le</strong>s médiocres – plus prompts à faire allégeance à un pouvoir injuste<br />
– remplacent, aux postes de décision, <strong>le</strong>s plus méritants – sont soucieux de conformer <strong>le</strong>urs<br />
actions aux principes et aux lois. Conséquence naturel<strong>le</strong>: partout, <strong>le</strong> clientélisme, l’affairisme<br />
et la corruption s’instal<strong>le</strong>nt, dans un climat de cynisme et d’impunité. Autre conséquence : <strong>le</strong>s<br />
meil<strong>le</strong>urs cerveaux tunisiens dont <strong>le</strong>s études ont été payées par <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> préfèrent émigrer et<br />
rester à l’étranger où ils sont assurés de voir <strong>le</strong>urs mérites reconnus en dehors de toute forme<br />
d’allégeance et de clientélisme. Et ce sont autant de richesses dont on prive <strong>le</strong> pays.<br />
Loin de déranger M. <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, cette situation de pourrissement généralisé semb<strong>le</strong> convenir au<br />
président tunisien et répondre à sa conception du pouvoir. Car, plus <strong>le</strong>s gens sont intelligents,<br />
compétents et intègres, plus ils sont soucieux de justice et plus ils résistent à ses décisions<br />
régaliennes. A l’inverse, plus <strong>le</strong>s gens sont médiocres, incompétents et corrompus, plus ils ont<br />
des dispositions à servir un régime pourri et injuste, sans état d’âmes et avec tout <strong>le</strong> zè<strong>le</strong><br />
requis.<br />
C’est dans ce hiatus que d’ail<strong>le</strong>urs réside <strong>le</strong> drame de la Tunisie actuel<strong>le</strong>: <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs et <strong>le</strong>s<br />
plus compétents des Tunisiens ne sont pas toujours (ou sont rarement) aux premières loges. Ils<br />
sont même combattus et marginalisés par un régime qui ne laisse pas de place à la<br />
compétence, surtout quand cel<strong>le</strong>-ci s’associe, chez une même personne, à l’intégrité.<br />
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