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Le triomphe de la médiocratie<br />
La scène politique tunisienne se caractérise, depuis au moins une quinzaine d’années, par la<br />
rareté ou la quasi-absence de personnalités politiques de premier plan. C’est comme si, en<br />
dehors du président <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, il n’y aurait aujourd’hui aucun <strong>le</strong>ader possédant <strong>le</strong>s qualités<br />
requises pour prendre en main la destinée de ses compatriotes. A tel point qu’à chaque fois<br />
que la question de la succession de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> est posée, on s’entend dire: " Et qui voyez-vous<br />
pour <strong>le</strong> remplacer ?" Ici, l’interrogation a va<strong>le</strong>ur d’affirmation: seul <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> a aujourd’hui<br />
l’expérience nécessaire pour gouverner. Cependant, il ne suffit pas de constater <strong>le</strong> désert<br />
politique, il convient aussi de s’interroger sur ses causes. Pourquoi et, surtout, comment ce<br />
pays, qui a enfanté par <strong>le</strong> passé tant de <strong>le</strong>aders politiques de haut niveau, est-il devenu soudain<br />
si stéri<strong>le</strong> ? Dans ce chapitre, nous allons tenter un début de réponse.<br />
Durant la période colonia<strong>le</strong> et même après, la Tunisie a enfanté un grand nombre de <strong>le</strong>aders<br />
politiques. On pense aux Tahar <strong>Ben</strong> Ammar, Mahmoud Materi, Salah <strong>Ben</strong> Youssef, Mongi<br />
Slim, Taïeb Mehiri, Ahmed Tlili, Bahi Ladgham, Hédi Nouira, Habib Achour, Ahmed Mestiri<br />
et tant d’autres, dont certains auraient sans doute mérité de diriger ce pays. Et même durant<br />
<strong>le</strong>s vingt dernières années du règne autoritaire de l’ex-président Habib Bourguiba, marquées<br />
par l’imposition du <strong>le</strong>adership unique et <strong>le</strong> culte de la personnalité, <strong>le</strong> pays a enfanté de<br />
nombreux hommes politiques, dont certains auraient pu jouer un rô<strong>le</strong> de premier ordre au<br />
<strong>le</strong>ndemain de la destitution de Bourguiba. On en citerait Ahmed Mestiri, Driss Guiga, Tahar<br />
Belkhodja, Mansour Moalla, Chedly Ayari, Béji Caïd Essebsi, Habib Boularès, pour n’en<br />
citer que quelques uns. Mais où sont passés ces dirigeants potentiels ? Pourquoi se tiennent-ils<br />
tous aujourd’hui à l’écart de la scène politique ? Ont-ils perdu <strong>le</strong> goût de l’action ? Ont-ils été<br />
contraints à abandonner <strong>le</strong> terrain ?<br />
Avant l’accession de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> au pouvoir, de nombreux chefs politiques comme Tahar<br />
Belkhodja, Mohamed Mzali, Driss Guiga et Mohamed Masmoudi vivaient en exil à<br />
l’étranger. Une fois au pouvoir, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> <strong>le</strong>s a autorisés à rentrer en annulant <strong>le</strong>s peines<br />
prononcées contre eux, en réhabilitant <strong>le</strong>urs droits civils et en <strong>le</strong>ur versant des indemnités, des<br />
salaires et/ou des pensions de retraites selon <strong>le</strong>s cas: une bonne manière de <strong>le</strong>s désarmer et de<br />
<strong>le</strong>s tenir en laisse. Et tout cela grâce à des mesures prises hors du droit!<br />
En fait, et l’histoire nous <strong>le</strong> confirmera, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> s’est attelé, dès sa prise du pouvoir, à vider la<br />
scène politique tunisienne de tout pô<strong>le</strong> d’influence et de toute personnalité pouvant un jour<br />
postu<strong>le</strong>r au pouvoir suprême. Il a commencé par s’attaquer à la centra<strong>le</strong> syndica<strong>le</strong>, l’Union<br />
Généra<strong>le</strong> Tunisienne du Travail (UGTT), qui constituait <strong>le</strong> principal pô<strong>le</strong> de résistance à ses<br />
desseins dictatoriaux, en suscitant en son sein des divisions et en y imposant des directions<br />
successives sans envergure et, surtout, complètement soumises à sa volonté.<br />
Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> nouvel homme fort du pays a œuvré à affaiblir tous <strong>le</strong>s partis de<br />
l’opposition, à <strong>le</strong>s décrédibiliser et en faire progressivement de simp<strong>le</strong>s satellites du parti au<br />
pouvoir, avant de <strong>le</strong>s réduire, peu à peu, au rô<strong>le</strong> de simp<strong>le</strong>s comparses dans un théâtre<br />
d’ombre politique qu’il écrase sous <strong>le</strong> poids de sa mégalomanie et de son autoritarisme.<br />
Les rares personnalités politiques d’envergure nationa<strong>le</strong>, qui occupaient des postes de<br />
direction dans ces partis, ont été récupérés par <strong>le</strong> régime, tels Saâdeddine Zmerli, Ahmed<br />
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