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qui heurte souv<strong>en</strong>t notre conviction très actuel<strong>le</strong> que grandeur et humilité doiv<strong>en</strong>t nécessairem<strong>en</strong>t al<strong>le</strong>r de<br />
paire, son manque appar<strong>en</strong>t de générosité et de sollicitude à l’égard de ses contemporains, adossés au<br />
caractère profondém<strong>en</strong>t lisse, parfait, monum<strong>en</strong>tal, nous pourrions écrire invulnérab<strong>le</strong>, de son œuvre, ne<br />
pousse effectivem<strong>en</strong>t pas dans <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s d’une manifestation spontanée de sympathie. Quel<strong>le</strong> est donc la cause<br />
de ce s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de décalage, de cette inadéquation si évid<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre <strong>le</strong> « sage de Weimar » et notre époque ?<br />
La réponse réside certainem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> grande partie dans <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s jugem<strong>en</strong>ts et écrits de Goethe<br />
s’inscrivai<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t néo-classique initié par Winckelmann. Or c’est là un système<br />
que nous ne partageons plus : depuis deux sièc<strong>le</strong>s, il semb<strong>le</strong> que nous n’ayons fait qu’adhérer de plus <strong>en</strong> plus<br />
aux va<strong>le</strong>urs et idées auxquel<strong>le</strong>s Goethe n’avait cessé de s’opposer dans sa maturité. Bi<strong>en</strong> qu’il ait lui-même<br />
par son Werther initié ce mouvem<strong>en</strong>t, <strong>le</strong> Goethe « r<strong>en</strong>aissant » postérieur à sa redécouverte de l’art de la<br />
R<strong>en</strong>aissance itali<strong>en</strong>ne, devi<strong>en</strong>t hosti<strong>le</strong> au romantisme. On reti<strong>en</strong>t ainsi cet aphorisme célèbre souv<strong>en</strong>t sorti de<br />
son con<strong>texte</strong> :<br />
« J’appel<strong>le</strong> classique ce qui est sain, et romantique ce qui est malade 6 . »<br />
Mais nous-mêmes vivons précisém<strong>en</strong>t sans toujours <strong>en</strong> avoir la claire consci<strong>en</strong>ce dans un monde, où <strong>le</strong>s<br />
va<strong>le</strong>urs romantiques se sont largem<strong>en</strong>t imposées. Sans caricaturer outrageusem<strong>en</strong>t notre société moderne, <strong>le</strong>s<br />
préceptes d’exacerbation de l’individualisme, de libération des instincts, de dépassem<strong>en</strong>t de soi semb<strong>le</strong>nt<br />
s’imposer dans <strong>le</strong>s communications et comportem<strong>en</strong>ts <strong>le</strong>s plus quotidi<strong>en</strong>s ; on ne semb<strong>le</strong> jurer que par <strong>le</strong><br />
sublime et <strong>le</strong> génie, jusqu’à même éprouver une certaine fascination pour la décad<strong>en</strong>ce et la folie, alors qu’il<br />
n’y avait pour Goethe de va<strong>le</strong>urs supérieures à la sagesse, à la modération, à l’harmonie et à l’équilibre.<br />
En second lieu, <strong>le</strong> fait est que Goethe n’était pas un philosophe au s<strong>en</strong>s courant du terme ; il n’avait pas<br />
vraim<strong>en</strong>t <strong>le</strong> goût de la p<strong>en</strong>sée conceptuel<strong>le</strong> ou systématique. Ceci est d’autant plus remarquab<strong>le</strong> que nous<br />
sommes inévitab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t portés à <strong>le</strong> comparer à ses contemporains et que Goethe a partagé son époque avec<br />
quelques-uns uns des plus grands philosophes de la modernité: de Kant à Hegel <strong>en</strong> passant par Fichte et<br />
Schelling. Même <strong>le</strong>s écrivains et poètes de cette époque, qu’il a largem<strong>en</strong>t fréqu<strong>en</strong>té, <strong>le</strong>s Herder, Schil<strong>le</strong>r,<br />
Hölderlin, Sch<strong>le</strong>gel, Novalis manifestai<strong>en</strong>t une passion philosophique autrem<strong>en</strong>t plus développée que cel<strong>le</strong><br />
de Goethe, et se plaisai<strong>en</strong>t à bâtir des systèmes esthétiques ou éthiques plus ou moins évolués. Goethe, pour<br />
5 Notamm<strong>en</strong>t l’impressionnant volume de ses correspondances, ce qui nous obligera à faire appel à quelques autres<br />
spécialistes germanophones de Goethe, tels Jean Lacoste et Ernst Cassirer, afin d’id<strong>en</strong>tifier <strong>le</strong>s écrits uti<strong>le</strong>s à notre<br />
travail mais non disponib<strong>le</strong>s <strong>en</strong> langue française.<br />
6 « Et <strong>le</strong>s Nibelung<strong>en</strong> sont classiques comme l’est Homère : tous <strong>le</strong>s deux sont sains et forts. Si la plupart des œuvres<br />
modernes sont romantiques, ce n’est pas parce qu’el<strong>le</strong>s sont modernes, mais parce qu’el<strong>le</strong>s sont faib<strong>le</strong>s, infirmes et<br />
malades ; et si ce qui est antique est classique, ce n’est parce que c’est anci<strong>en</strong>, mais parce que c’est frais, joyeux et sain.<br />
En distinguant, selon ces caractères, <strong>le</strong> classique et <strong>le</strong> romantique, nous saurons à quoi nous <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir. » (cf. Eckermann,<br />
Conversations de Goethe avec Eckermann, p. 287-288) L’opposition du classicisme et du romantisme chez <strong>le</strong> poète<br />
s’avère donc bi<strong>en</strong> davantage un classem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fonction de certaines caractéristiques récurr<strong>en</strong>tes, qu’une condamnation<br />
catégorique des mouvem<strong>en</strong>ts artistiques ou philosophiques de la période romantique dans <strong>le</strong>ur <strong>en</strong>semb<strong>le</strong><br />
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