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Kant et Poincaré compt<strong>en</strong>t parmi <strong>le</strong>s principaux p<strong>en</strong>seurs qui, ayant parfaitem<strong>en</strong>t compris <strong>le</strong>s <strong>en</strong>jeux de la<br />
physique mathématique, ont r<strong>en</strong>ouvelé <strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong> processus de connaissance, à la lumière, <strong>le</strong><br />
premier, de la physique newtoni<strong>en</strong>ne, <strong>le</strong> second, de la découverte des géométries non euclidi<strong>en</strong>nes 225 . Kant,<br />
qui n’était pas un profane <strong>en</strong> matière de sci<strong>en</strong>ces 226 , considéra que <strong>le</strong>s conséqu<strong>en</strong>ces de la théorie de la<br />
gravitation newtoni<strong>en</strong>ne allai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> au-delà du seul champ de la connaissance sci<strong>en</strong>tifique et qu’el<strong>le</strong>s<br />
touchai<strong>en</strong>t au fonctionnem<strong>en</strong>t même de l’esprit humain. C’est ainsi que pour répondre à Hume, qui mettait<br />
<strong>en</strong> cause <strong>le</strong>s bases de la certitude sci<strong>en</strong>tifique 227 , il chercha à établir un fondem<strong>en</strong>t cognitif à la théorie de<br />
Newton et <strong>en</strong> vint à poser que l’espace et <strong>le</strong> temps étai<strong>en</strong>t des « conditions a priori » de la connaissance et<br />
non des concepts empiriques. Dans la Critique de la raison pure, Kant déf<strong>en</strong>dit ainsi la thèse que si l’on<br />
accepte l’espace newtoni<strong>en</strong>, alors on doit éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t accepter <strong>le</strong> fait que la géométrie euclidi<strong>en</strong>ne<br />
tridim<strong>en</strong>sionnel<strong>le</strong> soit la seu<strong>le</strong> géométrie permettant de décrire et d’étudier la nature 228 . Mais ces conclusions<br />
fur<strong>en</strong>t lourdem<strong>en</strong>t mises à mal par l’avènem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>tre 1820 et 1870, des géométries non-euclidi<strong>en</strong>nes qui<br />
détruisai<strong>en</strong>t par-là même l’idée newtoni<strong>en</strong>ne de temps et d’espaces euclidi<strong>en</strong>s absolus.<br />
Or, à partir de 1887, suite à la découverte d’un artic<strong>le</strong> du mathématici<strong>en</strong> norvégi<strong>en</strong> Lie qui établit une théorie<br />
de groupe permettant de modéliser tout mouvem<strong>en</strong>t d’un corps dans un plan comme une somme infinie de<br />
mouvem<strong>en</strong>ts infinitésimaux, Poincaré va s’intéresser à la relation qui unit l’espace mathématique parfait à<br />
l’espace représ<strong>en</strong>tatif inexact de la physique. Se basant sur la Critique de Kant et cherchant une alternative<br />
aux « principes a priori » de la connaissance qu’étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong> temps et l’espace chez <strong>le</strong> philosophe, il va proposer<br />
dans un artic<strong>le</strong> de 1887 l’hypothèse de la préexist<strong>en</strong>ce dans l’esprit de la notion de groupes continus de<br />
transformation. L’<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> de ces groupes a priori, qu’il est tout à fait possib<strong>le</strong> de considérer comme une<br />
généralisation des principes synthétiques a priori proposés par Kant, serait à même d’<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer toutes <strong>le</strong>s<br />
géométries mutuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t compatib<strong>le</strong>s et permettrait à notre esprit de saisir tout mouvem<strong>en</strong>t d’objet dans<br />
l’espace et dans <strong>le</strong> temps. La théorie proposée par Poincaré s’avérerait ainsi valab<strong>le</strong> non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dans un<br />
espace et un temps euclidi<strong>en</strong>, comme celui décrit dans la théorie newtoni<strong>en</strong>ne, mais éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dans tout type<br />
de géométrie alternative démontrée comme cohér<strong>en</strong>te. Poincaré 229 explique alors que notre esprit organisant<br />
ses perceptions s<strong>en</strong>soriel<strong>le</strong>s <strong>en</strong> fonction de ces différ<strong>en</strong>ts groupes, il <strong>en</strong> arrive à choisir « par commodité » <strong>le</strong><br />
groupe mathématique des déplacem<strong>en</strong>ts euclidi<strong>en</strong>s à trois dim<strong>en</strong>sions d’où résulte notre perception d’un<br />
univers euclidi<strong>en</strong>.<br />
224 El<strong>le</strong> signifierait que l’objet touche <strong>le</strong> sol avant même d’avoir été lâché par l’expérim<strong>en</strong>tateur.<br />
225 Mil<strong>le</strong>r, Arthur I., Intuitions de génie, images et créativité dans <strong>le</strong>s sci<strong>en</strong>ces et <strong>le</strong>s arts p. 191-209<br />
226 Le philosophe de Königsberg était plus que versé dans la physique newtoni<strong>en</strong>ne qu’il étudia de manière très<br />
approfondie. Outre son intérêt pour la mécanique terrestre, il fera éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1855 dans son ouvrage Théorie du ciel<br />
quelques conjonctures cosmologiques significatives sur <strong>le</strong>s galaxies et <strong>le</strong>s nébu<strong>le</strong>uses, qui seront vérifiées au cours du<br />
XX ème sièc<strong>le</strong> avec l’avènem<strong>en</strong>t des radio-téléscopes géants.<br />
227 Hume affirmait notamm<strong>en</strong>t qu’aucune expéri<strong>en</strong>ce ne pourrait jamais prouver la validité d’une théorie puisqu’il est<br />
toujours possib<strong>le</strong> d’imaginer l’exist<strong>en</strong>ce d’une expérim<strong>en</strong>tation décisive invalidante.<br />
228 Mil<strong>le</strong>r, I Arthur, Intuitions de génie, images et créativité dans <strong>le</strong>s sci<strong>en</strong>ces et <strong>le</strong>s arts, p. 195<br />
229 Ibid., p. 205<br />
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