Numéro 66 - Café pédagogique
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Langues Anciennes<br />
- Marie Fontana-Viala, François Gadeyne -<br />
- A la Une : Jacques Lacarrière, l’amoureux de la Grèce.<br />
« L’autre jour, j’étais sur la plage, tout seul, au bout du port, après la fabrique de glace et le<br />
baptistère de Saint-Jean. Deux heures de l’après-midi, un ciel sans nuages et un soleil de<br />
plomb. Et de nouveau dans ma tête un vers d’Elytis :<br />
Plus loin que la mémoire barques rouges de pêche<br />
Elytres d’or du mois d’août dans la léthargie de midi…<br />
Devant moi, trois petites filles jouent dans l’eau. Derrière moi, des odeurs de friture de la<br />
maison voisine. La mère appelle ses trois filles, de cette voix suraiguë qu’ont les femmes des<br />
îles : « Vasso, Antigone, Hélène ! Venez manger tout de suite ! » Deux des filles accourent<br />
aussitôt . La troisième reste à jouer dans l’eau. Au bout de cinq minutes, la mère ressort,<br />
excédée et se met à hurler : « Antigone ! Vas-tu venir manger, oui ou non ? Tu n’en fais<br />
toujours qu’à ta tête ! »<br />
(…)<br />
Dans le monastère de Saint-Jean, il y a une curieuse chapelle, dédiée à saint Basile, dont l’un<br />
des murs est entièrement couvert de graffiti représentant un raid des Francs sur le port de<br />
Patmos. On y voit des dizaines de bateaux en tous genres, des Francs en armure. Ces graffiti<br />
rappellent sans doute la razzia du Vénitien Morosini qui au XVIIe siècle ravagea l’île et<br />
détruisit tous les bateaux du port. »<br />
Ton inimitable, familier et érudit, de cet incroyable guide que fut Jacques Lacarrière !<br />
Ce ton s’installe dans L’été grec, publié en 1975: il entrelace les souvenirs de ses différents<br />
voyages, superposant plus qu’il ne confronte la première impression et, des années plus tard,<br />
les retrouvailles avec le mont Athos ou telle île des Cyclades. L’anecdote succède aux notes<br />
de lecture, qui précèdent quelques vers d’un poète grec contemporain ou un croquis de la<br />
main de l’auteur. On le suit, pas à pas, au cours d’une promenade à la fois enjouée et<br />
recueillie, dans l’espace et dans le temps.<br />
En relisant les différents portraits donnés de lui ces derniers jours, on se rappellera comment<br />
cet étudiant (de lettres classiques, mais aussi d’hindi et de grec moderne) découvrit « pour de<br />
vrai » la Grèce à vingt-deux ans lorsqu’il partit, avec la troupe théâtrale de la Sorbonne, jouer<br />
à Epidaure. De nombreux voyages suivront, solitaires et pédestres, ainsi que quelques séjours<br />
prolongés.<br />
Le foisonnement des activités passionnantes et passionnées de Lacarrière semble décourager<br />
toute entreprise de recensement : à l’étude d’une Grèce littéraire, il adjoint celle d’une Grèce<br />
quotidienne, à celle de la Grèce antique, celle de la Grèce contemporaine. Il écrit des essais et<br />
des études, mais aussi de la poésie, il traduit et met en scène… Encore a-t-il regardé, au-delà<br />
de la Grèce, vers d’autres civilisations !<br />
Ce qui frappe surtout, c’est combien cet homme fut, tout à la fois, un spécialiste profond et un<br />
touche-à-tout à l’insatiable curiosité, deux aspects qui nous paraissent souvent exclusifs l’un<br />
de l’autre… A plus d’un titre, le parcours de Jacques Lacarrière peut inspirer notre démarche