Numéro 66 - Café pédagogique
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Article pédagogique : "Dans l'école d'aujourd'hui, les<br />
contre-pouvoirs sont insuffisants" – Entretien avec Pierre<br />
Merle<br />
- Pierre Merle -<br />
Qui n'a pas dans ses souvenirs celui d'avoir été "cassé" par un prof ? L'Ecole française a-telle<br />
une culture du mépris ? Le livre de Pierre Merle "L'élève humilié" dresse un tableau<br />
sévère de l'Ecole française, une machine qui humilierait les individus, créant ainsi de l'échec<br />
scolaire. Pour autant l'ouvrage ne condamne pas les enseignants mais un modèle scolaire qui<br />
a du mal à suivre l'évolution de la société vers l'égalité des personnes.<br />
FJ -On est d'abord surpris par l'ampleur de la maltraitance, telle que vous la décrivez, dans<br />
l'Ecole républicaine. On sait bien que les lignes, interdites depuis le 19ème siècle, perdurent.<br />
Mais je n'aurais jamais imaginé que 15% des enseignants du primaire continuent à distribuer<br />
des fessées. L'école française est-elle une des plus maltraitantes du monde ?<br />
Je ne pense pas que le terme de maltraitance convienne. Nous sommes en face d'une réalité<br />
difficile à connaître. D'après une étude de l'INSEE réalisée en 1992, presque un collégien et<br />
lycéen sur deux a déclaré se sentir « parfois » ou « souvent » humilié. Dans une étude par<br />
questionnaire que j'ai réalisée en 2000 (872 collégiens de sixième et troisième), un collégien<br />
sur cinq s'est déclaré s'être senti « souvent » ou « assez souvent » humilié par son professeur.<br />
C'est beaucoup moins. C'est encore beaucoup trop. Indiscutablement, il s'agit d'un phénomène<br />
scolaire massif. Les deux études montrent que les élèves faibles scolairement sont davantage<br />
concernés.<br />
Sur la pratique de la fessée, les données statistiques disponibles sont déjà anciennes et il est<br />
probable que la féminisation du corps des professeurs des écoles et son rajeunissement a<br />
entraîné une diminution sensible de cette pratique.<br />
À une incertitude statistique sur l'ampleur du phénomène, il faut ajouter l'extraordinaire<br />
diversité des situations suscitant le sentiment d'humiliation des élèves. On va de réflexions<br />
anodines d'un professeur dont l'intention n'est nullement humiliante à des propos offensants<br />
gravement l'élève. Ces derniers sont évidemment beaucoup plus rares mais ils produisent<br />
aussi des effets beaucoup plus graves. Dans ces cas-là, le terme de maltraitance convient. En<br />
ce sens, il ne faut pas prétexter de la rareté de certains dérapages pour les excuser tant leurs<br />
conséquences sont parfois irrémédiables sur la scolarité de l'élève.<br />
Il n’existe pas de comparaisons internationales sur cette question sensible. On sait seulement<br />
que les élèves français se déclarent plutôt moins heureux en classe que les élèves des autres<br />
pays. On peut penser qu'il s'agit d'un indicateur d'un certain mal-être lié notamment aux<br />
pratiques d'humiliation.