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Olivier Twist I<br />
Chapitre XVI<br />
— Oh ! que si, que je le sais bien, répliqua la jeune fille avec un rire<br />
nerveux, en balançant sa tête de droite à gauche, et prenant un air d’indifférence<br />
qui dissimulait mal son émotion.<br />
— Eh bien alors, tiens-toi tranquille, ajouta Sikes en grondant comme<br />
il avait l’habitude de le faire quand il s’adressait à son chien ; ou je te ferai<br />
tenir tranquille pour longtemps. »<br />
La jeune fille se remit à rire et avec plus de sans-gêne qu’auparavant ;<br />
puis, lançant à Sikes un coup d’œil furtif, elle détourna la tête et se mordit<br />
la lèvre jusqu’au sang.<br />
« Comme ça te va bien, reprit Sikes en la toisant avec mépris, de te<br />
donner des airs de bonté et de générosité ! La belle occasion pour cet enfant,<br />
comme tu l’appelles, de se faire de toi une amie !<br />
— Oui, je suis son amie ! s’écria la jeune fille avec colère, et maintenant<br />
j’aimerais mieux être morte dans la rue, ou avoir pris la place de ceux<br />
auprès de qui nous avons passé ce soir, que d’avoir contribué à entraîner<br />
ici cet enfant. À partir d’aujourd’hui ce n’est plus qu’un voleur, un fripon,<br />
un scélérat ; faut-il pour cela que ce vieux misérable vienne encore<br />
le rouer de coups ?<br />
— Allons, allons, Sikes, dit le juif d’un ton de reproche, et en lui montrant<br />
les jeunes filous qui écoutaient ce dialogue de toutes leurs oreilles,<br />
soyons calme, Guillaume ; il faut faire la paix.<br />
— Faire la paix ! s’écria Nancy exaspérée ; vieux scélérat. Je n’avais<br />
pas la moitié de l’âge de cet enfant, que déjà je volais pour vous et voilà<br />
douze ans que je fais ce métier-là, et toujours pour vous ! Est-ce vrai ?<br />
dites ; est-ce vrai ?<br />
— C’est bon, c’est bon, répondit le juif en tâchant de calmer Nancy ;<br />
mais ce métier-là est aussi ton gagne-pain : c’est lui qui te fait vivre.<br />
— En effet, reprit-elle avec volubilité ; c’est ma vie, comme les rues<br />
sont ma demeure, malgré le froid, la pluie et la boue. Et c’est vous, misérable<br />
! qui m’avez menée là, et qui m’y retiendrez nuit et jour jusqu’à ce<br />
que je meure !<br />
— Il t’arrivera pis que cela ! interrompit le juif piqué de ces reproches ;<br />
pis que cela, entends-tu, si tu dis encore un mot. »<br />
Elle se tut ; mais dans sa colère elle s’arrachait les cheveux et déchirait<br />
ses vêtements. Elle se précipita sur le juif et lui eût probablement laissé<br />
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