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Olivier Twist I<br />
Chapitre XXVI<br />
tinguer une nombreuse société d’hommes et de femmes, entassés autour<br />
d’une longue table, à l’extrémité de laquelle siégeait un président, tenant<br />
à la main un marteau, insigne de ses fonctions. Dans un coin, devant un<br />
méchant piano, était assis une espèce d’artiste, au nez violet, et dont la<br />
figure était soigneusement empaquetée à cause d’une fluxion.<br />
Au moment où Fagin se glissait doucement dans la salle, l’artiste, promenant<br />
ses doigts sur le clavier en manière de prélude, occasionna une<br />
rumeur générale. Tout le monde demandait une chanson ; quand le vacarme<br />
fut apaisé, une jeune femme vint divertir le public en chantant<br />
une ballade en quatre couplets, entre chacun desquels l’accompagnateur<br />
reprenait le refrain en jouant de toute sa force. and ce fut fini, le président<br />
fit un signe d’approbation ; puis des artistes, placés à sa droite et à<br />
sa gauche, entamèrent un duo qu’ils chantèrent aux grands applaudissements<br />
de la compagnie.<br />
Il était curieux d’observer quelques-unes des figures qui se détachaient<br />
de ce groupe. Il y avait d’abord le président, qui n’était autre que<br />
le maître de céans, homme à mine rébarbative et de formes athlétiques,<br />
qui, tandis qu’on chantait, roulait ses yeux en tous sens, et qui, tout en<br />
ayant l’air de se laisser aller au plaisir de la musique, avait l’œil sur tout<br />
ce qu’on faisait, et prêtait l’oreille à tout ce qui se disait, et, en vérité, il<br />
avait l’œil perçant et l’oreille fine. Près de lui étaient les chanteurs, recevant<br />
avec indifférence les compliments qu’on leur adressait, et avalant<br />
successivement une douzaine de grogs, que leur passaient leurs plus véhéments<br />
admirateurs. Dans l’assistance, les figures portaient l’empreinte<br />
des vices les plus abjects, et airaient l’aention à force d’être repoussantes.<br />
La ruse, la férocité, l’ivresse à tous les degrés, s’y montraient sous<br />
l’aspect le plus hideux. Des femmes, des jeunes filles à la fleur de l’âge,<br />
mais flétries par le vice, souillées de débauches et de crimes, formaient la<br />
partie la plus triste et la plus sombre de cet affreux tableau.<br />
Fagin, que rien de tout cela ne pouvait émouvoir, passait rapidement<br />
en revue toutes les figures, mais, à ce qu’il paraît, sans rencontrer celle<br />
qu’il cherchait. Il parvint enfin à airer sur lui l’œil de l’individu qui présidait,<br />
lui fit de la main un léger signe, et sortit de la salle à pas de loup<br />
comme il y était entré.<br />
« ’est-ce que vous voulez, monsieur Fagin ? demanda l’homme, qui<br />
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