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Olivier Twist I<br />
Chapitre V<br />
il faut aller garder la boutique, entends-tu ?<br />
— Entends-tu, enfant trouvé ? dit Noé Claypole.<br />
— el drôle de corps vous faites, Noé ! dit Charloe ; ne pouvez-vous<br />
laisser cet enfant tranquille ?<br />
— Le laisser tranquille ! dit Noé ; mais il me semble que tout le monde<br />
le laisse assez tranquille comme ça. Il n’a ni père ni mère qui se mêle de ses<br />
affaires ; tous ses parents le laissent bien faire à sa guise ; hein, Charloe ?<br />
Ah ! ah !<br />
— Farceur que vous êtes ! » dit Charloe en riant aux éclats.<br />
Noé fit comme elle ; puis ils jetèrent tous deux un coup d’œil dédaigneux<br />
sur le pauvre Olivier Twist, qui greloait assis sur un coffre au<br />
fond de la cuisine, et mangeait les restes de pain dur qu’on lui avait spécialement<br />
réservés.<br />
Noé était un enfant de charité, mais non du dépôt de mendicité ; il n’était<br />
pas enfant trouvé, car il pouvait faire remonter sa généalogie jusqu’à<br />
son père et à sa mère, qui demeuraient près de là ; sa mère était blanchisseuse<br />
; son père, ancien soldat, ivrogne et retiré du service avec une<br />
jambe de bois et une pension de deux pence et demi par jour. Les garçons<br />
de boutique du voisinage avaient eu longtemps l’habitude d’apostropher<br />
Noé dans les rues par les surnoms les plus injurieux, et il avait souffert<br />
sans mot dire. Mais maintenant que la fortune avait jeté sur son chemin<br />
un pauvre orphelin sans nom, que l’être le plus vil pouvait montrer du<br />
doigt avec mépris, il se vengeait sur lui avec usure. C’est là un intéressant<br />
sujet de réflexion. Nous voyons sous quel beau côté se montre parfois la<br />
nature humaine, et avec quelle similitude les mêmes qualités aimables se<br />
développent chez le plus noble gentilhomme et chez le plus sale enfant<br />
de charité.<br />
Il y avait trois semaines ou un mois qu’Olivier demeurait chez l’entrepreneur<br />
de pompes funèbres, et M. et Mᵐᵉ Sowerberry, après avoir fermé<br />
la boutique, soupaient dans la petite arrière-boutique, quand M. Sowerberry,<br />
après avoir considéré sa femme à plusieurs reprises de l’air le plus<br />
respectueux, entama la conversation.<br />
« Ma chère amie... »<br />
Il allait continuer, mais Mᵐᵉ Sowerberry leva les yeux d’une façon si<br />
revêche qu’il s’arrêta court.<br />
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