Les Collections de L’Histoire
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Toutes les îles Britanniques sont<br />
dominées par les Anglais,mais les nations<br />
et les i<strong>de</strong>ntités sont restées distinctes<br />
Henri II et son fils Jean. Ces ennemis sont perçus comme<br />
<strong>de</strong>s Barbares : ils continuent à pratiquer l’esclavage, et,<br />
comme ils n’ont pas <strong>de</strong> châteaux, ils massacrent les<br />
enfants et les vieux, invendables. Ils ignorent le combat à<br />
cheval et les usages chevaleresques. Attachés à <strong>de</strong>s structures<br />
ecclésiastiques archaïques, se mariant entre cousins<br />
à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> consanguinité prohibés, ils sont à peine<br />
chrétiens et font obstacle à la réforme grégorienne. Par<br />
contraste, une i<strong>de</strong>ntité positive et valorisante se <strong>de</strong>ssine<br />
pour les Anglais, qui ont désormais une histoire nationale<br />
commune, quelles que soient leurs origines.<br />
Sur ces bases, les Anglais construisent ce que sir<br />
Rees Davies a appelé en 1998 2 le « premier empire britannique<br />
» : le droit <strong>de</strong> bourgeoisie dans les villes créées<br />
après la conquête du pays <strong>de</strong> Galles en 1284 est réservé<br />
aux Anglais, les Gallois n’ont pas le droit d’y pénétrer.<br />
<strong>Les</strong> terres qui leur sont confisquées vont à <strong>de</strong>s Anglais<br />
ou à <strong>de</strong>s Flamands qui forment une nouvelle gentry à<br />
laquelle <strong>de</strong>s Gallois ne s’intègrent qu’en renonçant à<br />
leur droit et à leurs coutumes.<br />
La participation <strong>de</strong>s archers gallois à la guerre <strong>de</strong><br />
Cent Ans favorise cependant l’intégration : une gentry<br />
galloise apparaît, qui a bien compris à quel point le droit<br />
d’aînesse favorise l’accumulation <strong>de</strong> la fortune familiale<br />
contrairement au partage égalitaire celtique. <strong>Les</strong><br />
Tudors, d’origine galloise, et qui montent sur le trône<br />
anglais en 1485 pour cent dix-huit ans, en sont un bel<br />
exemple. Mais même cette gentry n’est pas anglicisée.<br />
SÉPARÉS DES IRLANDAIS<br />
La division est encore plus nette en Irlan<strong>de</strong> : Irlandais<br />
et Anglais constituent <strong>de</strong>ux peuples séparés. <strong>Les</strong> Anglais<br />
se sont repliés sur le Pale, une zone défendue par une<br />
palissa<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> Dublin où s’exerce le pouvoir royal,<br />
et sur quelques ports : en <strong>de</strong>hors, les chefs irlandais se<br />
considèrent toujours comme <strong>de</strong>s rois indépendants. Pour<br />
rivaliser avec eux, les nobles anglo-irlandais adoptent<br />
certains <strong>de</strong> leurs usages, au point d’être considérés<br />
comme <strong>de</strong>s Anglais « dégénérés » par le pouvoir royal.<br />
En Écosse, les souverains reconnaissent la suzeraineté<br />
anglaise au xii e siècle si bien que le roi Édouard I er<br />
tente <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong> Dunkeld<br />
en 1286 pour soumettre le royaume en choisissant son<br />
héritier. En vain. <strong>Les</strong> Anglais doivent reconnaître la nouvelle<br />
dynastie nationale <strong>de</strong>s Bruce (à laquelle succè<strong>de</strong>nt<br />
les Stuarts) au traité <strong>de</strong> Northampton en 1328, mais<br />
la zone frontière reste zone <strong>de</strong> non-droit, ravagée par<br />
<strong>de</strong>s raids incessants.<br />
Un empire britannique, certes, mais seulement au<br />
sens géographique : toutes les îles Britanniques sont<br />
dominées par les Anglais, mais les nations et les i<strong>de</strong>ntités<br />
sont restées distinctes.<br />
NOTES<br />
2. R. R. Davies,<br />
The First English<br />
Empire. Power<br />
and I<strong>de</strong>ntities<br />
in the British Isles,<br />
1093-1343,<br />
Oxford<br />
University<br />
Press, 1998.<br />
3. Cette<br />
violente révolte,<br />
suscitée par<br />
les exigences<br />
fiscales <strong>de</strong><br />
Stafford, le<br />
gouverneur<br />
envoyé par<br />
Charles I er ,<br />
a échoué en<br />
partie à cause<br />
<strong>de</strong> la division<br />
entre les élites<br />
« Old Irish »<br />
croyant encore<br />
à une entente<br />
possible avec<br />
les Anglais,<br />
et les éléments<br />
populaires<br />
menés par<br />
Owen Roe<br />
O’Neill, formé<br />
dans l’armée<br />
espagnole, qui<br />
voulait rompre<br />
tout lien avec<br />
l’Angleterre.<br />
<strong>Les</strong> quatre piliers <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité britannique<br />
A<br />
partir du xvi e siècle, la domination<br />
<strong>de</strong>s Anglais s’accompagne d’une<br />
puissante i<strong>de</strong>ntité commune.<br />
C’est cette i<strong>de</strong>ntité britannique<br />
qui est aujourd’hui menacée par<br />
le Brexit. Quatre expériences<br />
communes ont contribué à<br />
rapprocher les quatre nations :<br />
La Réforme : Henri VIII,<br />
qui a engagé l’Angleterre<br />
sur la voie <strong>de</strong> la Réforme en<br />
rompant avec Rome et en <strong>de</strong>venant<br />
le chef <strong>de</strong> l’Église d’Angleterre<br />
(Act of Supremacy, 1534), instaure<br />
l’anglicanisme. <strong>Les</strong> idées protestantes se<br />
répan<strong>de</strong>nt alors rapi<strong>de</strong>ment en Angleterre<br />
et au pays <strong>de</strong> Galles, tandis qu’en Écosse la<br />
pensée <strong>de</strong> Luther et <strong>de</strong> Calvin est diffusée par John Knox<br />
(ci-contre, en médaillon) à partir <strong>de</strong> 1547. Seule<br />
l’Irlan<strong>de</strong> reste profondément attachée au catholicisme.<br />
L’empire colonial : à partir <strong>de</strong> 1707,<br />
2. Gallois, Écossais et Irlandais participent<br />
massivement à l’expansion <strong>de</strong> l’empire ultramarin :<br />
1.<br />
tous, marins, soldats, administrateurs<br />
ou missionnaires, se mêlent dans le creuset<br />
colonial qui leur offre <strong>de</strong>s débouchés<br />
provi<strong>de</strong>ntiels.<br />
La France comme ennemi<br />
3. commun : après la victoire <strong>de</strong><br />
1588 sur l’« Invincible Armada »<br />
espagnole et catholique <strong>de</strong> Philippe II,<br />
c’est la France, perçue comme le pays<br />
du <strong>de</strong>spotisme, qui cristallise la haine<br />
commune. Quant aux catholiques,<br />
marginalisés <strong>de</strong>puis la déposition <strong>de</strong><br />
la reine Élisabeth par Pie V en 1570, ils<br />
sont exclus <strong>de</strong> la vie publique <strong>de</strong> 1688 à<br />
1829.<br />
Le libéralisme : transcendant<br />
les partis politiques, l’audience que<br />
4.<br />
rencontre au xix e siècle l’ouvrage <strong>de</strong> lord Macaulay<br />
l’Histoire d’Angleterre <strong>de</strong>puis l’avènement <strong>de</strong> Jacques II<br />
impose la vision d’une Gran<strong>de</strong>-Bretagne libérale<br />
et conquérante. <strong>Les</strong> succès <strong>de</strong> l’industrialisation et<br />
<strong>de</strong> l’empire qui en feront la première puissance<br />
mondiale au xix e siècle renforcent encore cette idée.<br />
ÉDIMBOURG, JOHN KNOX HOUSE MUSEUM/BRIDGEMAN IMAGES<br />
14 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77