Les Collections de L’Histoire
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De gentils prolétaires<br />
qui ont réussi<br />
Liverpool, fin <strong>de</strong>s années 1950. Le peintre beatnik Stuart<br />
Sutcliffe, lauréat d’un prix artistique et musicien amateur,<br />
rejoint son ami d’art school (conservatoire municipal<br />
<strong>de</strong>s beaux-arts) John Lennon dans un petit groupe local,<br />
les Quarrymen. Sutcliffe fait connaître les Quarrymen dans<br />
le ghetto beatnik <strong>de</strong> Liverpool et, avec son amie Astrid Kirchherr,<br />
leur donne un nouveau look (les cheveux longs, notamment).<br />
Il quitte la musique en 1961 pour se consacrer à la peinture<br />
et meurt un an plus tard. Juste avant la gloire <strong>de</strong>s Quarrymen<br />
<strong>de</strong>venus les… Beatles !<br />
Le 5 octobre 1962 sort en Gran<strong>de</strong>-Bretagne Love Me Do,<br />
le premier 45 tours <strong>de</strong> ce groupe issu <strong>de</strong>s banlieues pauvres<br />
<strong>de</strong> Liverpool. Leur premier album Please Please Me est produit<br />
par la prestigieuse compagnie EMI. <strong>Les</strong> dirigeants sont sceptiques<br />
sur les chances d’un succès durable. Un an plus tard, EMI fait<br />
ses comptes. C’est l’euphorie. La Beatlemania fait <strong>de</strong>s ravages.<br />
Trustant le hit-para<strong>de</strong>, les Beatles ven<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> disques<br />
en Angleterre et bientôt en Europe continentale et aux États-Unis.<br />
<strong>Les</strong> conséquences du triomphe du groupe sont multiples<br />
en 1964 et 1965. Sur le plan économique, ils contribuent au<br />
redressement <strong>de</strong> la balance commerciale britannique, ce qui<br />
leur vaut, en octobre 1965, une distinction royale ; politiquement,<br />
ils <strong>de</strong>viennent l’enjeu <strong>de</strong>s rivalités entre travaillistes, libéraux<br />
et conservateurs : le lea<strong>de</strong>r libéral Jo Grimond se souviendra<br />
longtemps d’avoir proposé une « ligne anti-Beatles » aux élections<br />
<strong>de</strong> 1964 !<br />
Sur le plan social, les Beatles donnent l’image <strong>de</strong> gentils<br />
prolétaires qui ont réussi, un peu comme les stars du football.<br />
La comparaison s’arrête là. Avec leurs vêtements hétéroclites<br />
et leurs cheveux longs (surtout après 1965), avec un accent<br />
provincial inconnu à Oxbridge et à la BBC, une musique a priori<br />
détestée <strong>de</strong>s adultes (le rock and roll), ils <strong>de</strong>viennent un véritable<br />
modèle culturel pour une jeunesse en quête d’i<strong>de</strong>ntité.<br />
Ci-<strong>de</strong>ssus : les Beatles rencontrent la reine en 1963.<br />
Bertrand Lemonnier, <strong>L’Histoire</strong> n° 112, juin 1988.<br />
Stones, bientôt les Kinks, les Who ou les Yardbirds : après<br />
un <strong>de</strong>mi-siècle <strong>de</strong> règne sans partage sur les musiques<br />
populaires anglophones, les États-Unis étaient d’autant<br />
moins préparés à affronter cette concurrence qu’ils<br />
n’avaient jamais rien produit <strong>de</strong> semblable.<br />
NAISSANCE DU « ROCK GARAGE »<br />
En effet, la plupart <strong>de</strong> ces groupes britanniques qui<br />
plaisaient tant aux jeunes Américains écrivaient leur<br />
propre répertoire. A l’inverse, les musiques populaires<br />
américaines sortaient d’une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> reprise en main<br />
par l’industrie suite au départ d’Elvis Presley pour l’armée.<br />
Cette pério<strong>de</strong> avait rappelé aux Américains que,<br />
chez eux, les musiques populaires étaient avant tout<br />
l’affaire d’auteurs-compositeurs professionnels, dont<br />
les chansons étaient arrangées par <strong>de</strong>s requins <strong>de</strong> studio<br />
et interprétées par <strong>de</strong>s artistes aussi interchangeables<br />
que ces girl groups dont les noms apparaissaient régulièrement<br />
en tête <strong>de</strong>s hit-para<strong>de</strong>s nationaux <strong>de</strong>puis le<br />
tournant <strong>de</strong>s années 1960.<br />
Désorientées, leurs maisons <strong>de</strong> disques réagissent<br />
en <strong>de</strong>ux temps. Appliquant <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qui avaient<br />
déjà fait leurs preuves outre-Atlantique, elles cherchent<br />
tout d’abord à signer <strong>de</strong>s accords <strong>de</strong> distribution avec<br />
leurs homologues britanniques, puis elles se mettent<br />
en quête d’équivalents locaux <strong>de</strong>s groupes produits par<br />
ces <strong>de</strong>rnières. Toutefois, la tâche va s’avérer plus compliquée<br />
qu’elles ne l’avaient imaginé.<br />
Avant l’arrivée <strong>de</strong>s Beatles, les groupes américains<br />
avaient essentiellement prospéré dans l’ombre. Il s’agissait<br />
surtout <strong>de</strong> groupes amateurs, qui se produisaient<br />
dans <strong>de</strong>s bars avec un répertoire <strong>de</strong> reprises. Ils avaient<br />
aussi en commun d’écumer ce que l’on appelait les<br />
battles of bands, ces concours régionaux qui pouvaient<br />
voir jusqu’à <strong>de</strong>ux douzaines <strong>de</strong> formations s’affronter<br />
pendant toute une soirée dans l’espoir <strong>de</strong> décrocher le<br />
financement d’une séance d’enregistrement.<br />
Pour beaucoup <strong>de</strong> ces groupes, <strong>de</strong> tels concours<br />
représentaient la seule et unique chance <strong>de</strong> pouvoir<br />
graver un single. Mais, contre toute attente, la British<br />
Invasion va leur faciliter les choses à partir <strong>de</strong> 1964.<br />
<strong>Les</strong> maisons <strong>de</strong> disques américaines se mettent soudain<br />
en quête <strong>de</strong> groupes : prises <strong>de</strong> court, elles n’ont<br />
d’autre choix que <strong>de</strong> puiser dans ce vivier <strong>de</strong> groupes<br />
déjà constitués. C’est <strong>de</strong> ce mouvement <strong>de</strong> panique<br />
que va naître l’une <strong>de</strong>s réponses les plus originales<br />
<strong>de</strong> l’industrie <strong>de</strong> la musique américaine à la British<br />
Invasion : le « rock garage ».<br />
Au début <strong>de</strong> la décennie suivante, ce <strong>de</strong>rnier sera à<br />
l’origine du punk qui inspirera à son tour la création <strong>de</strong><br />
groupes britanniques comme les Clash ou les Sex Pistols.<br />
Quant aux Beatles, plus <strong>de</strong> quarante ans après leur séparation,<br />
ils continueront d’incarner la fierté retrouvée <strong>de</strong><br />
la Gran<strong>de</strong>-Bretagne à une époque où, dans le sillage<br />
<strong>de</strong> la crise <strong>de</strong> Suez, le pays basculait dans le camp <strong>de</strong>s<br />
puissances sous domination américaine. n<br />
MIRRORPIX/GETTY IMAGES<br />
84 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77